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Claude Monet, son musée

On se presse au Grand Palais. Avant ou après cette visite, on ira au musée Marmottan. Il doit son nom primitif au legs fait à l’Académie des beaux-arts de son hôtel particulier du Ranelagh par M. Marmottan. À son nom a été joint celui de Monet, propre à rappeler que ce musée Monet est le premier musée Monet du monde. Une exposition Monet y a été montée. Elle tire parti d’un fonds richissime, exceptionnel par son lien avec l’existence du peintre qui vécut entouré d’une très grande partie des œuvres réunies à Marmottan.

EXPOSITION
CLAUDE MONET, SON MUSÉE
Musée Marmottan-Monet
2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris
7 octobre – 20 février 2011
Catalogue sous la direction de Noémie Goldman
Hazan/musée Marmottan-Monet, 240 p., 200 ill.,
35 €


PUBLICATIONS
JEAN-DOMINIQUE REY
BERTHE MORISOT
Préface de Sylvie Patry
Flammarion, 224 p., nb. ill., 40 €

RICHARD R. BRETTELL
IMPRESSIONNISME : PEINDRE VITE
1860-1890
Préface de Sylvie Patry
Hazan, 224 p., 80 ill., 18 €

XAVIER GIRARD
TROIS HOMMES DANS UN JARDIN
Matisse, Monet, Marquet à Giverny,
le 10 mai 1917
André Dimanche, 222 p., 19

On se presse au Grand Palais. Avant ou après cette visite, on ira au musée Marmottan. Il doit son nom primitif au legs fait à l’Académie des beaux-arts de son hôtel particulier du Ranelagh par M. Marmottan. À son nom a été joint celui de Monet, propre à rappeler que ce musée Monet est le premier musée Monet du monde. Une exposition Monet y a été montée. Elle tire parti d’un fonds richissime, exceptionnel par son lien avec l’existence du peintre qui vécut entouré d’une très grande partie des œuvres réunies à Marmottan.

Le musée Marmottan a bénéficié de plusieurs legs. Impression, soleil levant (1873), « l’icône » de l’œuvre de Monet, – comme on dit aujourd’hui –, « l’icône » de l’Impressionnisme, fit partie d’une donation venant de la collection du Dr de Bellio, un médecin ami des peintres. Monet n’avait pas conservé à portée de vue ce tableau devenu « mythique ».

Peut-être incité par cette donation, Michel Monet, le fils du peintre, resté proche de son père, fit à son tour une donation de quelque trois cents peintures, des dessins, des carnets. Plus tard, la famille Rouart enrichit le Musée d’œuvres de Manet, Monet, Berthe Morisot, Corot, Renoir…

L’exposition commence par des portraits-charges du jeune Oscar Monet (il signera un peu plus tard de son second prénom). À la galerie où il expose, il rencontre Eugène Boudin, qui encourage son cadet. Monet a raconté les conseils qu’il reçut : « Apprenez à bien dessiner, admirez la mer, la lumière, le ciel bleu. » Monet commente : « Je suivis ce conseil. »

À l’exposition nous sommes conduits des caricatures aux dernières années. La série des Ponts japonais relève d’un autre regard. Un regard altéré par la maladie oculaire ? Cette thèse pourrait valoir pour le Bassin aux nymphéas, rouge, de 1918-1919, confronté aux Nymphéas, bleu et vert, de 1916-1919. Les « Nymphéas » on les voit naître dans Nymphéas. Effet du soir (1897-1898), où deux fleurs jaunes imposent encore leur dessin sur un fond d’eau violet.

Impression, soleil levant est une œuvre beaucoup moins vue que lue : image commentée. À l’exposition chez Nadar en 1874, le tableau suscite cette appréciation du critique Jules Castagnary : « Ce n’est pas un paysage, c’est impression que s’appelle au catalogue le Soleil levant de M. Monet. » Castagnary définit pour toujours ces impressionnistes : « Une fois que l’impression est saisie ils déclarent que leur rôle est terminé (…). Ils sont impressionnistes dans le sens où ils rendent non pas un paysage mais la sensation produite par un paysage. »

Précisé dans l’intitulé du tableau, « Le Havre » renverrait au paysage. En revanche, la précision « soleil levant » identifie dans un même geste le temps chronologique et le temps de l’œuvre.

Richard R. Brettell a écrit un essai, aujourd’hui réédité, sous le titre Impressionnisme : peindre vite. Ses analyses mettent en valeur une peinture dite « performative » – le terme en français n’est pas heureux. Les analyses de séries d’œuvres sont précédées d’un regard précis sur trois tableaux célèbres de Cézanne, tous de 1873 : Une moderne Olympia. Esquisse, La Maison du Père Lacroix, La Maison du pendu. Seul le deuxième tableau répond à la définition donnée par Castagnary de l’impression. Ainsi, écrit Brettell : « De la Maison du Père Lacroix à Impression, soleil levant : la distance n’est pas si grande. »

Si la « performance » signe l’impressionnisme, en propose une définition, la rapidité d’exécution peut se trouver ailleurs. Ainsi dans le Portrait de l’abbé de Saint-Non (1707) peint par Fragonard où l’on peut lire au dos du tableau qu’il a été exécuté en une heure. « Rien, écrit Brettell, dans l’apparence de la toile ne vient démentir cette précision, qui n’est pas de la main du peintre. » Cependant l’apparence de ce portrait est bien loin de celle du Port du Havre.

Xavier Girard, ancien directeur du musée Matisse de Nice, ne présente pas de thèse. Le titre de son livre Trois hommes dans un jardin rappelle un autre livre. Mais il s’agit moins ici du bateau-atelier de Monet, que de Giverny où se rencontrent un jour de mai pendant la guerre trois peintres, d’inégale réputation. Pourquoi sont-ils là, que se sont-ils dit ? Rien n’est parvenu de cette rencontre. Le livre de Girard est adroitement bâti, comme un roman, où tout est faux et tout est vrai (Girard cite ses sources, Marianne Alphant, Fourcade, Wildenstein). Mais, surtout, vrai parce que ces trois hommes sont trois peintres, qu’ils parlent la même langue dont l’analyse soutient d’une œuvre à l’autre l’enquête du critique.

Une recherche qui aboutit à cette conclusion, qui ne regarde plus que la peinture : « Et si la visite à Monet est restée muette, c’est bien peut-être qu’elle invitait ses hôtes à n’emprunter aucun des chemins qui s’ouvraient à eux ce jour-là. Comme s’ils s’étaient donné rendez-vous trop tard ou trop tôt dans le jardin du peintre. »

Jean-Dominique Rey, critique aigu, écrit à propos de Berthe Morisot (1841-1895) : « Son œuvre est pure peinture, ce qui pourrait être l’une des définitions de l’impressionnisme. » À Marmottan les œuvres de Berthe Morisot, qu’appréciait Monet, sont nombreuses. Rey dans son admirable monographie (texte et images) en reproduit une dizaine. De « La belle peintre » le regard nous retient. Manet a fait quinze fois son portrait. Paul Valéry a écrit qu’il mettait au plus haut de l’œuvre de Manet Berthe Morisot au bouquet de violettes.

Mallarmé qui, amicalement et quasi familialement, était proche de Berthe Morisot notait « Paris la connaît peu ». Écrivains (pas tous…) et peintres l’admiraient. Son art n’était pas « féminin » comme on l’a prétendu. Mais l’épithète tombe même de la plume de Mallarmé, auteur pourtant du plus beau, du plus profond éloge de Berthe Morisot dans l’Hommage qui lui fut rendu à sa mort. Autre point de discussion sa place par rapport à Manet, dont elle épousa le frère. Jean-Dominique Rey met à mal le préjugé : « Elle n’inspirera pas seulement Manet comme portraitiste, mais comme peintre, elle saura être entre lui et les impressionnistes le lieu qui lui permettra de comprendre ce qu’il avait d’abord rejeté. »

Georges Raillard