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Rebeyrolle

La force de la peinture. Au plus loin des babioles échangées aujourd’hui entre labanque et Versailles. On en prend la mesure à la galerie Claude Bernard, grâce àune anthologie d’une quinzaine de tableaux de Philippe Rebeyrolle (1926-2005), àretrouver ou à découvrir.

Exposition

Paul Rebeyrolle

5 décembre 2013 - 18 janvier 2014

Galerie Claude Bernard

7, rue des Beaux Arts, 75006 Paris

La force de la peinture. Au plus loin des babioles échangées aujourd’hui entre labanque et Versailles. On en prend la mesure à la galerie Claude Bernard, grâce àune anthologie d’une quinzaine de tableaux de Philippe Rebeyrolle (1926-2005), àretrouver ou à découvrir.

Cet artiste est singulier. Comme son parent étymologique le sanglier, peint, sculpté par Rebeyrolle comme un autoportrait. Un solitaire. Ce qui ne va pas sans risques dans l’empire de la loi, ou « Au royaume des aveugles », titre d’une série, la « série » désignant le moyen de composition du peintre. Les sangliers seront une série.

La nature et la peinture, d’abord. Il sait, tout jeune, qu’il veut être peintre. Né dans le Limousin, il est enraciné dans sa terre, dans la familiarité avec les animaux, la truite ou le serpent, l’oiseau, le lapin écorché.

Né à Eymoutiers, on peut connaître aujourd’hui l’ampleur de cet oeuvre à l’espace Rebeyrolle qui y a été installé. La Haute-Vienne et Paris, les deux pôles de l’artiste sa vie durant.

À la fin de la guerre, il vient à Paris, il habite la « Ruche », phalanstère où se rencontrent provinciaux et immigrés. Le Louvre rouvre, le jeune peintre ouvre les yeux sur les grands qu’il découvre en vrai. Cependant, il a aussi le regard offusqué par le monde tel qu’il est après les
grandes illusions de la Résistance. Il adhère au parti communiste.

Sartre écrit en 1970 : « La peinture peut être tout, mais il sait déjà que les grands sentiments doivent se trouver dans l’acte de peindre, et qu’on ne peut les représenter sur la toile. En 1960, il quitte le Parti pour les raisons qu’on devine ; il n’en sort pas par la porte de droite, mais par celle de gauche : il n’existe pour lui qu’un radicalisme, le même en art et en politique. »

En ce temps-là, sur le champ artistique se disputaient le réalisme (socialiste) et l’abstraction. Au peintre engagé Rebeyrolle surimprime le peintre enragé. Ce n’est pas un jeu de mots chez lui, mais une révolte de l’homme encagé.

Les titres des oeuvres et les oeuvres elles-mêmes suggèrent les retournements, les révolutions : acharnement et décharnement, dans la chair en lambeaux, décomposition et composition des corps blafards, malmenés, le sang arrêté en pleine pâte, qui peut se hérisser de crin, de bois, de bouts de toile, de grillage.

Les tableaux de Rebeyrolle ne sont pas racontables. Ils échappent à la langue, elle y achoppe. Jean-Louis Prat, présentant à la fondation Maeght à Saint-Paul de Vence une rétrospective de l’oeuvre de Rebeyrolle : « Il fait surgir un être à la limite de la vie. » Et encore : « La peinture est malmenée au point d’être proche de la rupture. » Néanmoins, le sujet de la série est présent, nommé jadis Les Guérilleros (1968), plus récemment, Le Sac de Mme TellikdjianLe Monétarisme, Natures mortes et pouvoir.

Pour Poussin, la peinture avait pour fin le docere (le savoir), et le delectare (la jouissance). Cicéron avait joint le movere (l’émotion, la déstabilisation) – je prends ces références chez Jean Clair, qui, pas plus que Limbour, ne fait allusion à Rebeyrolle.

Être troublé, révolté. Mais quelle peut être la forme de la révolte en peinture ? Ne se gagne-telle pas aux dépens de la jouissance ? Du spectateur et du peintre ? Rebeyrolle, en 1992, répond : « Il faut qu’il y ait une joie de peindre. On ne peut pas parler des choses graves avec un ton abattu. Le monde est ainsi fait que les choses les plus tragiques sont parfois les plus belles. »
Le solitaire laisse des traces. À suivre.

Michel Foucault remarquait, à la fin d’un texte de 1973 au sujet d’une série sur les Chiens : « Ici peindre la forme et laisser fuser la Force se rejoignent. Rebeyrolle a trouvé le moyen de faire passer d’un seul geste la force de peindre dans la vibration de la peinture. »

Georges Raillard