Vous écrivez, dans votre article « On est prié d’ouvrir les yeux : faut-il lire Mein Kampf ? » d’Adolf Hitler, que les luthériens et leurs pasteurs ont contribué à l’ascension du nazisme. C’est une généralisation incorrecte.

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer, luthérien, mondialement connu, lutta de 1933 à 1945 (pendu à Flossenbürg par laGestapo) contre le nazisme. Dans son centre de formation des futurs pasteurs (secret et dissimulé), il forma des théologiens antinazis.

Il existait d’ailleurs en Allemagne, pendant le régime nazi, une église parallèle à l’église officielle, s’appelant l’église confessante fondée par le pasteur luthérien Martin Niemöller.

L’église confessante était strictement antinazie. Les fidèles passaient derrière l’autel (après le culte) pour donner leurs contributions en secret ; n’oubliez pas que c’était un geste dangereux dans un État totalitaire.

Je me permets de rappeler le pasteur Walter Künneth, qui s’opposait à la théorie dans son livre Antwort auf den Mythus (« réponse au mythe ») d’Alfred Rosenberg, théoricien stupide du nazisme.

Il existait, à côté de la résistance luthérienne, une opposition des étudiants : Hans et Sophie Scholl dirigeaient la « Rose blanche » à Munich. Condamnés à mort par le Reich, il y avait des protestants parmi eux.

Pour finir, je défends Martin Luther et son opuscule Les Juifs et leurs mensonges. Martin Luther n’était pas raciste mais déçu que les juifs ne se convertissent pas au christianisme. Luther avait un caractère de feu ; son agression contre les juifs était l’effet d’un accès de colère. Tout son siècle était radical et grossier, il faut y penser.

L’histoire du protestantisme sous le joug nazi est aussi l’histoire de la lutte antinazie. Le catholicisme menait le même combat malgré l’attitude molle du pape Pie X. Il y avait beaucoup de victimes dans les deux confessions chrétiennes. 

Sigfrid Bein, ancien directeur de la bibliothèque de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

Réponse 

La lettre de Sigfrid Bein montre qu’il est toujours imprudent de généraliser ou de ne pas préciser qu’on ne décrit qu’un côté des choses. Il sait quels rôles ont tenu les protestants et les catholiques allemands durant la Seconde Guerre mondiale. En France aussi, à partir de 1941, l’Église protestante s’opposa aux nazis. L'ensemble des habitants du Chambon-sur-Lignon – village protestant – ont reçu la distinction de « Justes parmi les nations » pour avoir sauvé 5 000 juifs. C'est le seul exemple d'attribution collective, car il n'y eut en effet pas une dénonciation. Tous participèrent au sauvetage. Le pasteur André Trocmé déclara, en 1943 : « Nous ignorons ce qu'est un juif, nous ne connaissons que des hommes. »

En revanche, la hiérarchie catholique – religion très majoritaire en France, contrairement à la situation en Allemagne, et ancienne religion d’État – a soutenu le régime de Vichy, considérant la Résistance comme un acte de désobéissance. Et l’épiscopat français a exprimé ses regrets, en 1997, pour n’avoir pas dénoncé le sort réservé aux juifs durant la guerre.

Ce qui n’a pas empêché de nombreux catholiques, clercs et laïcs, de protéger des juifs, à leurs risques et périls.

Quant à Luther, je n’ai pas inventé ses propos ; qu’ils aient été le résultat de sa colère et de sa déconvenue, qu’il se soit d’abord adressé aux chrétiens, que ce livre ait eu peu d’influence durant des siècles, qu’il n’ait jamais proposé la destruction des juifs mais leur expulsion (puisqu’ils résistaient à la conversion), qu’il ait, à cette occasion, joué sur la corde populiste (comme l’écrit Pierre Savy, dans son édition critique de 2015 – Honoré Champion), ne change rien à sa récupération par les nazis. Par ailleurs, je me fie à Rita Thalmann, dont personne ne peut contester le sérieux et la rigueur d’historienne, et qui publia en 1976 sa thèse d’État Protestantisme et nationalisme en Allemagne de 1900 à 1945, aux éditions Klincksieck et que j’ai eu la chance de rencontrer dans les années 1990.

Puis-je aussi rappeler que les deux tiers des juifs d’Europe ont été assassinés par les nazis ?

Tout ceci étant dit, je remercie Sigfrid Bein d’avoir nuancé mes propos sur un sujet qu’il connait bien mieux que moi. 

Michel Juffé