LITTÉRATURE FRANÇAISE

  • Violaine Huisman
  • Fugitive parce que reine
  • Gallimard, coll. « Blanche », 246 p., 19 €

On se souvient des évocations émues de la figure maternelle chez Proust, Colette ou Albert Cohen. Dans un livre autobiographique mais recomposé par le romanesque, Violaine Huisman brosse à l’inverse le portrait terrifiant de celle qui s’emportait contre les « jérémiades de gamines douillettes » de ses filles. Adulée par un second mari aux frasques sexuelles sans limites, elle-même homosexuelle et hétérosexuelle, cette mère oscille entre une tendresse ravagée et une exécration de tout ce qui l’entoure. Le livre résonne de ses cris, échos d’une enfance massacrée, tout en prolongeant la violence du livre qu’elle avait publié en 1993, Saxifrage. Avec « sa peau douce et fine comme du papier de soie », elle reste pour la fille « une grande brûlée […], une écorchée vive ». Suicidée par refus de la déchéance, « fugitive » comme « le frisson de l’être dans son évanescence », « reine » comme la Reine de la nuit de Mozart, ce livre lui rend un hommage plein de tendresse, où résonne plusieurs fois, comme un appel sans écho, un poème d’enfance de l’auteure : « Maman, maman, / Toi qui m’aimes tant / Pourquoi partir sans me prévenir ? »

  • Marie-Hélène Lafon
  • Flaubert
  • Buchet-Chastel, coll. « Les auteurs de ma vie », 208 p., 14 €

Une anthologie de Flaubert par un professeur de lettres classiques.

  • Tiffany Tavernier
  • Roissy
  • Sabine Wespieser, 280 p., 21 €

Un roman sur les « indécelables », ceux qui ont élu domicile à… l’aéroport de Roissy. Ce sont des SDF atypiques, qui passent leur vie à se fondre dans le flot des voyageurs pour ne pas attirer l’attention des vigiles et des caméras de surveillance. 

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE 

  • Dante Alighieri
  • Purgatoire
  • Traduit de l’italien, préfacé et annoté par Danièle Robert
  • Actes Sud, 540 p., 26 €

L’un des textes majeurs de la civilisation occidentale, source d’inspiration, littéraire et picturale, de l’Occident depuis des siècles. Placé sous le signe de la musique, le récit versifié accompagne une montée progressive vers le paradis terrestre. La nouvelle traduction de Danièle Robert, présentée en édition bilingue, retrouve la scansion rimée du texte italien pour en faire résonner l’harmonie. 

POÉSIE 

  • Alain Breton
  • Infimes Prodiges. Œuvre poétique
  • Édition établie et présentée par Christophe Dauphin
  • Préface de Paul Farellier
  • Les Hommes sans épaules, 418 p., 25 €

« Émotiviste par essence », selon Christophe Dauphin, le poème s’ouvre au merveilleux chez Alain Breton. Voici, rassemblée en plus de 400 pages, son œuvre depuis Tout est en ordre sûrement (1974) jusqu’à Les Éperons d’Éden (2014). Des inédits complètent ce volume, ainsi que les poèmes publiés sous le nom de Jacques Aramburu. 

  • Franck Doyen
  • Mocha
  • La Lettre volée, 64 p., 14 €

Récit fragmenté dont on peut lire chaque page isolément, l’effacement menace cette narration d’une dérive. Le personnage principal s’éloigne peu à peu de sa propre humanité :

« cri d’un esprit penché sur le vide, confus jusqu’en son épaisseur, forgeant ses propres secondes d’angoisse, écoulement de l’encre, vous écopez le jour durant, et la nuit, et le jour » 

  • Aurélie Foglia
  • Grand-Monde
  • José Corti, coll. « Domaine français », 144 p., 18 €

C’est une histoire des arbres, en vers, en espaces blancs, en pointillé, en indicible explicité. Histoire de veilleurs dont on s’éloigne, qui nous manquent : « im   presque // mortels »

  • Jean-Michel Frank
  • « Les funestes roses de ma tête » (une anthologie)
  • Obsidiane, coll. « Les solitudes », 144 p., 16 €

Ultime livre de cette collection pour Obsidiane, il donne à lire un ensemble de poèmes de Jean-Michel Frank (1922-1988). François Boddaert le présente comme un poète pour lequel « le réel se manifestera dans l’état maladif ». Il faudra donc « renaître chaque matin dans le miracle du poème ». 

  • Vénus Khoury-Ghata
  • Gens de l’eau
  • Mercure de France, 126 p., 12,50 €

Je t’écris parce que tu ne sais pas lire
que tu récites sans te tromper l’alphabet de la peur
que tu reconnais au toucher l’herbe nourricière
au flair la source en amont du filet d’eau 

Épique retour aux sources d’un peuple de l’eau, traversé de rites fondateurs reproduits pour écarter le danger, Gens de l’eau donne à lire une histoire ou un conte dans lequel « la mort gagne à tous les coups »

  • Béatrice Marchal
  • Richard Rognet ou « l’ailleurs qui veut vivre »
  • suivi de
  • Lutteur sans triomphe deRichard Rognet
  • L’Herbe qui tremble, coll. « Trait d’union », 280 p., 18 € 

Dans la nouvelle collection de L’Herbe qui tremble, « Trait d’union », Béatrice Marchal propose une étude d’ensemble de la poésie de Richard Rognet. 

  • Franck Venaille
  • L’Enfant rouge
  • Mercure de France, 80 p., 12,50 € 

Dans son dernier livre, L’Enfant rouge, Franck Venaille, qui vient de nous quitter, parcourt l’Est parisien, le quartier de son enfance. Dans ce récit, on entend la voix du poète et celle de l’enfant mêlées.

RÉCITS 

  • Allison Hoover Bartlett
  • L’Homme qui aimait trop les livres
  • Traduit de l’anglais (USA) par Cyril Gay
  • Marchialy, 315 p., 21 €

À l’instar d’Umberto Eco forgeant son roman Le Nom de la rose sur le ressort de la destruction du livre II de la Poétique d’Aristote, la journaliste Allison Hoover Bartlett a été saisie par un sujet qui l’a d’abord surprise par son caractère rocambolesque : l’un de ses concitoyens escroquait, grâce au réseau de la carte bleue, des libraires de livres anciens à travers tous les États-Unis. L’étrange univers des collectionneurs et des marchands d’antiquariat lui était inconnu : elle s’est laissé piéger par ces charmeurs de vieux cuirs et de papiers aux odeurs poivrées. Résultat : une enquête délicieuse qui relate la traque de John Gilkey, obstiné voleur de livres rares, par un libraire tout aussi obstiné, Ken Sanders. L’histoire vraie est devenue, sous la plume de Bartlett, le récit joliment écrit d’une double aventure humaine piquée d’épisodes remarquables et souvent assez amusants. Les professionnels et amateurs de livres anciens retrouveront là quelques-unes de leurs propres habitudes, que l’on peut nommer aussi « pathologies » parfois, ce qui ne manquera pas de provoquer chez tous les autres lecteurs un sourire plein de commisération pour leurs frères et sœurs bibliophiles. Une très belle pièce à ajouter à la baroque et longue bibliographie de la bibliomanie.  

HISTOIRE LITTÉRAIRE 

  • Georges-Olivier Châteaureynaud
  • Contre la perte et l’oubli de tout
  • Albin Michel, 224 p., 18 €

Une histoire très personnelle de la littérature, un voyage initiatique au travers des auteurs, des genres, des objets et des lieux.

ENTRETIEN 

  • Jean-Michel Gentizon
  • Jean Daive, un décompte
  • Éditions des crépuscules, 110 p., 18 €

« Avons-nous les moyens de vivre sans interroger l’univers, sans inquiéter les cœurs, sans contrarier la vérité ni l’ajuster ? » 

JOURNAL 

  • Käthe Kollwitz
  • Journal (1908-1943)
  • L’Atelier contemporain, 308 p., 25 €

« Je me sens comme une mère qui ne veut pas chasser sa douleur. » Journal d’une peintre confondue en mater dolorosa

ESSAIS 

  • Baudouin de Bodinat
  • En attendant la fin du monde
  • Fario, 84 p., 15 €

Un essai sur l’impasse vers laquelle notre monde se dirige, « comme si de rien n’était »

  • Régis Debray
  • Bilan de faillite
  • Gallimard, 154 p., 15 €

Le constat désenchanté d’un héritier des idéaux de gauche, dont tout lui semble marquer la disparition dans la société contemporaine. Un travail de mémoire mélancolique, mêlé d’acidité pamphlétaire. La posture, à la Chateaubriand, d’un spectateur du flux inexorable du temps n’interdit ni la maîtrise d’un style de moraliste classique ni le sens – intact – de l’aventure spirituelle : « Préserve en toi la part du feu, je veux dire d’une foi, d’une ferveur, d’un élan. » 

  • Laurent Nunez
  • Il nous faudrait des mots nouveaux
  • Le Cerf, 192 p., 14 €

Un essai audacieux sur les mots qui manqueraient à la langue française et que l’on trouve dans d’autres langues. On retient notamment le Freizeitstress allemand (« le stress du temps libre »).  

PSYCHANALYSE 

  • Philippe Réfabert
  • Comme si de rien
  • Campagne première, 215 p., 21 €

Philippe Réfabert réunit dans cet ouvrage des articles jusqu’ici dispersés, écrits dans le fil de sa longue recherche éloignée d’une psychanalyse instituée ou dogmatique, dans un compagnonnage avec Ferenczi, Nicolas Abraham et Maria Törok ou Winnicott. La question du trauma – avec les débats qui l’entourent – est au centre de ce livre. 

  • Michael Larivière
  • Se dire psychanalyste (et éventuellement croire qu’on l’est)
  • Liber, 132 p., 13 €

Dans ce petit livre sous forme d’un dialogue fictif entre « un jeune » et « un vieux », l’auteur s’adresse, sur un ton à la fois vigoureux, parfois décapant et plein d’humour aussi, à ses amis et collègues afin de les alerter sur les dérives possibles des institutions psychanalytiques, sur les graves écueils de tout dogmatisme. Il témoigne en même temps de son parcours de formation, plein de questionnements, dans le contexte d’une psychanalyse triomphante des années 1970-1980. 

PHILOSOPHIE 

  • John Gray
  • Le Silence des animaux. Du progrès et autres mythes modernes
  • Traduit de l’anglais par David Tuaillon
  • Les Belles Lettres, 234 p., 17,50 € 

C’est un constat que nous assènent sans cesse science-fiction et films-catastrophes : l’humanité est néfaste, elle est cause de tous les maux. Le professeur de la London School of Economics John Gray ne dit guère autre chose, mais il l’exprime en philosophe. Avec une sérieuse dose d’humour, le Britannique secoue la doxa comme un tapis, en soulignant le fait que, si les humanistes libéraux ne rêvent que progrès, amélioration de l’individu et émancipation dudit, l’éthologie humaine raconte tout autre chose sur ce qui mène les hommes. En dynamitant la ligne d’horizon de nos ambitions individuelles et collectives, John Gray pose cette question centrale : faut-il vraiment se « réaliser » soi-même ? Subversif.

HISTOIRE

  • Laurent Joly
  • L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite
  • Grasset, 368 p., 20,90 €

À partir de sources inédites, une reconstitution de la période de Vichy et de ses crimes contre les juifs de France.