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La luisance de Klapheck

Depuis quarante ans Konrad Klapheck peignait des machines. Aujourd’hui un tournant dans son œuvre ? Il met en scène des jazzmen célèbres, aimés de lui, et leurs instruments. Konrad Klapheck est né à Düsseldorf en 1935. En 1946, à Düsseldorf, une exposition lui fait découvrir les maîtres de la peinture française, s’ajoutant à son penchant pour Dürer. Il lit, beaucoup. Gogol, Kafka, Joyce, Proust, plus tard Roussel. En 1950 un concert de Duke Ellington lui fit découvrir le jazz : Count Basie, Coleman Hawkins, Charlie Parker, Thelonius Monk vont constituer sa famille.
Jacques Dupin
"A l'âge de la violence, Konrad Klapheck" (Par quelque biais vers quelque bord) (P.O.L.)
Francis Klapheck Marmande
Konrad Klapheck, Swing, Brother, swing (Galerie Lelong)
Depuis quarante ans Konrad Klapheck peignait des machines. Aujourd’hui un tournant dans son œuvre ? Il met en scène des jazzmen célèbres, aimés de lui, et leurs instruments. Konrad Klapheck est né à Düsseldorf en 1935. En 1946, à Düsseldorf, une exposition lui fait découvrir les maîtres de la peinture française, s’ajoutant à son penchant pour Dürer. Il lit, beaucoup. Gogol, Kafka, Joyce, Proust, plus tard Roussel. En 1950 un concert de Duke Ellington lui fit découvrir le jazz : Count Basie, Coleman Hawkins, Charlie Parker, Thelonius Monk vont constituer sa famille.

Klapheck se fait connaître comme peintre de « machines ». Il y acquiert la célébrité. La première, en 1954, est une machine à écrire. Papier vierge sur le rouleau, mécanisme, touches, la machine, fidèle au modèle, est posée en oblique sur un fond biparti, noir dans la partie supérieure, beige dans la partie inférieure, un fond étale.

Une machine d’une neutralité qui la rend plus étrange, plus inquiétante que son modèle porté par Klapheck sur une photo. Il arrivera que l’image de la machine soit doublée, ou soulignée, d’un titre : Mes seize angoisses, Autoportrait athlétique, désignant une machine à écrire. Comme une autre, en 1958, sera accompagnée de ces mots Méduse, mon amie. Et bien d’autres.

Le titre peut s’oublier, la machine insiste : ses lignes pures, ses courbes, moins l’éclat que la luisance de tout son corps. André Breton, en 1960, conclut – Le Surréalisme et la peinture (1964) – sur une reproduction d’une machine à coudre et un texte ; « À l’égard des machines, Konrad Klapheck se tient dans la pose – et montre toutes les ressources – du charmeur : sur l’air de musique dont il a le secret il a pouvoir de faire danser le serpent sous tout un lustre d’oiseaux chanteurs. »

Une métamorphose musicale. Breton n’en était pas coutumier. Certains surréalistes s’étonnent de l’élection de Klapheck par Breton.

Mais la machine s’offre à tous nos fantasmes. Havelock Hellis met en évidence « l’éréthisme sexuel qu’entretient l’usage de la machine à coudre ». L’image citée de la machine à coudre qui conclut Le Surréalisme et la peinture, une petite Singer, est intitulée La Surfemme. La référence est claire à « l’ultra-érotisation par Jarry des rapports de l’homme et de la femme ».

Jacques Dupin, en 1997, publie un texte où il prend à bras-le-corps l’œuvre de Klapheck : À l’âge de la violence. Il écrit : « Il expulse et dénie, l’intimité, l’effort, la trace – la sueur, le sperme, le sang –, le frémissement de l’être vivant et l’empreinte de la main, la main du peintre agissant. Ce qu’il trahit, en revanche, c’est la réalisation des fantômes et la sublimation des fantasmes. » Moi-même, en 1981, dans les pages de La Quinzaine, je notai comment je me laissais fasciner par les « machines de Klapheck » (Q. L. n° 321), le regard sur nous de leur luisance.

Pendant quarante années donc, Klapheck a peint des machines. Dupin en fait apparaître, mise à nu, la violence. Le peintre fait remarquer que « c’est le regard de l’objet qui est essentiel ». « Il y a toujours des yeux dans mes objets : des vis, des ouvertures, des touches ou des boulons. » Voir, reproduite, Les Questions du sphinx.

L’exposition actuelle de Konrad Klapheck semble marquer une rupture dans l’œuvre. Des musiciens de jazz. Ceux dont l’œuvre est familière à Klapheck et à Marmande. Dans les reproductions du peintre et dans les textes de Marmande on reconnaît un même amour passionné pour le jazz. Pour ses têtes de file dont les initiales, voir le prénom entier, font partie de la figure. Où cependant, dominent, de tout leur éclat, de leur absolue luisance, les saxophones, ou les cymbales. Et, devant tout à la pureté de la ligne, la contrebasse ou le piano, dont l’artiste présente des dessins préparatoires à l’œuvre peinte.

Francis Marmande dans la présentation de Swing, Brother, Swing, titre de l’exposition, emprunté à deux compositions de 2006, écrit : « Ses quinze toiles qui ont le jazz pour motif, pour point d’incitation, offrent dans chacune de leur couleur, un cri mêlé de chant, dans chaque instant un hiératisme de l’instant. Surtout ce point est central à mes yeux, elles ne représentent pas, elles ne “swinguent” pas, en rien elles ne se donnent pour une “version jazz” de la peinture, elles vont au fond. »

Georges Raillard