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Le multiple Turner

 « Il y a des morceaux de Turner dans l’œuvre de Poussin. » Proust l’écrit dans Sodome et Gomorrhe. Et si Whistler entre dans la composition du nom et de l’art d’Elstir, une ébauche de La Recherche montre que le nom du peintre imaginaire n’est arrivé qu’après la biffure de celui de Turner. Proust n’est pas cité dans le catalogue de l’exposition du Grand Palais. Le propos est différent des expositions qui se tinrent dans les mêmes lieux en 1983-84 et 2004. 
Michael Warrell Kitson
Turner et le lorrain
(Hazan)
 « Il y a des morceaux de Turner dans l’œuvre de Poussin. » Proust l’écrit dans Sodome et Gomorrhe. Et si Whistler entre dans la composition du nom et de l’art d’Elstir, une ébauche de La Recherche montre que le nom du peintre imaginaire n’est arrivé qu’après la biffure de celui de Turner. Proust n’est pas cité dans le catalogue de l’exposition du Grand Palais. Le propos est différent des expositions qui se tinrent dans les mêmes lieux en 1983-84 et 2004. 

Le titre – « Turner et ses peintres » – ne désigne pas le culte que Rothko vouait à Turner, mais ce que l’artiste anglais de l’époque romantique (1775-1851) a recueilli, pour en faire son bien, chez les artistes du passé qu’il admirait. Il disposa, par testament, une confrontation avec eux. Ainsi dans une même salle s’offrent au regard deux toiles de lui et deux de Claude Gellée, dit Le Lorrain, qu’il mettait au pinacle. La nouvelle exposition du Grand Palais est dans la suite du vœu de Turner. Mais c’est la première fois qu’il est concrètement réalisé, dans une exposition organisée par la Réunion des musées nationaux, le musée du Louvre, la Tate Britain et le musée du Prado.

Cette confrontation des « originaux » et des « imitations », termes un peu trompeurs, se propose de donner à voir Turner à partir de ses affinités, et de leurs transformations. L’exercice est risqué. On peut, comme ce fut le cas pour l’accrochage de la National Gallery, penser que Turner y paraissait « tapageur » et Le Lorrain fade.

La rencontre avec Poussin fut fructueuse. En 1802, Turner, qui ne cessa de parcourir les lieux d’art d’outre-Manche, put découvrir au Louvre dix-neuf Poussin, outre la peinture italienne. Il a laissé de ses visites un carnet de croquis et d’analyses publié sous le titre de Studies in the Louvre.

Lui-même, jusqu’aujourd’hui, est soumis à des analyses et des jugements contradictoires. « Torrent de lumière » ou « simple amas de couleur dépourvu de sens » ? Monet passe de l’éloge à la dénonciation du « romantisme exubérant de son imagination ». Quant à Renoir, il constate que « ce n’est pas bâti ».

L’exposition, délibérément « scientifique » dans sa construction et les études du catalogue, se défie du regard théorique – des regards – porté sur Turner depuis quelques dizaines d’années. Turner annonciateur de l’impressionnisme ? Turner précurseur de l’abstraction ? Et les œuvres de la fin sont-elles le résultat d’un dessein délibéré ou de l’inachèvement ?

Pour éviter l’accusation de déformation de l’ensemble de l’œuvre de Turner, des catalogues d’exposition ont préféré à tout sous-titre le nom seul du peintre : J. M. W. Turner.

Les livres récents sont sortis de cette réserve. On a ainsi J. M. W. Turner. Les paysages absolus et Turner menteur magnifique dont le dernier chapitre est intitulé « Peindre le Tout ». Ces mots de la conclusion sont destinés à rappeler le livre fameux de Lawrence Gowing, Turner : peindre le rien (Éditions Macula, 1994), et y répondre. Entre ces deux vues manquerait, selon Pierre Wat, un « grand absent », « un autre Turner », « l’artiste romantique » : « Il est là, pourtant, dans cette équivalence du rien et du tout, celle-là même qui fonde le romantisme et qui, loin de creuser l’antagonisme entre les deux mythes, montre qu’ils ne sont que les deux faces, organiquement liées, d’une même quête. »

Georges Raillard