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Le Thesaurus de Van Gogh

Un événement éditorial majeur. Inattendu, inespéré, exceptionnel. Les lettres de Van Gogh, celles aussi qu’il a reçues, on pensait les connaître, dans leur intégralité, dans leurs assonances, leurs résonances, les réseaux qu’elles articulent. Le présent ouvrage, véritable Thésaurus de Van Gogh, nous offre une nouvelle ouverture à l’œuvre de Van Gogh, et, doit-on dire, à Van Gogh lui-même. Après quinze années de travail des musées hollandais (Van Gogh Museum d’Amsterdam, Institut Huygens de La Haye), de chercheurs, d’éditeurs, on est parvenu à cet ouvrage. Il fait plus pour la connaissance de Van Gogh que les centaines de livres ressassant les trois épisodes fameux de la « vie tragique de Vincent » : l’oreille coupée, l’asile de Saint-Rémy, le suicide à Auvers. La bibliographie en fait l’économie. Tous les commentateurs n’entraient pas en sympathie avec Van Gogh comme Artaud, autre « Suicidé de la société » : « La meule de peindre sans savoir pour quoi/ni pour où/car ce n’est pas pour ce monde-ci. »
Vincent Van Gogh
Les Lettres
Un événement éditorial majeur. Inattendu, inespéré, exceptionnel. Les lettres de Van Gogh, celles aussi qu’il a reçues, on pensait les connaître, dans leur intégralité, dans leurs assonances, leurs résonances, les réseaux qu’elles articulent. Le présent ouvrage, véritable Thésaurus de Van Gogh, nous offre une nouvelle ouverture à l’œuvre de Van Gogh, et, doit-on dire, à Van Gogh lui-même. Après quinze années de travail des musées hollandais (Van Gogh Museum d’Amsterdam, Institut Huygens de La Haye), de chercheurs, d’éditeurs, on est parvenu à cet ouvrage. Il fait plus pour la connaissance de Van Gogh que les centaines de livres ressassant les trois épisodes fameux de la « vie tragique de Vincent » : l’oreille coupée, l’asile de Saint-Rémy, le suicide à Auvers. La bibliographie en fait l’économie. Tous les commentateurs n’entraient pas en sympathie avec Van Gogh comme Artaud, autre « Suicidé de la société » : « La meule de peindre sans savoir pour quoi/ni pour où/car ce n’est pas pour ce monde-ci. »

Cette édition magistrale est une encyclopédie fondée sur le plaisir et le mystère de la peinture. Des richesses immenses les favorisent. En particulier la reproduction au format des dessins mêlés aux lettres, commentaire visible du lisible. Journal de travail, journal spirituel et intellectuel, journal du peintre aux prises avec la technique des couleurs. À l’affût d’affinités dans le passé, vu et revu à Amsterdam ou au Louvre, regards sur les artistes des générations proches – Gauguin, Signac, Delacroix, Monticelli, Millet, Daumier, Seurat, Toulouse-Lautrec.

En outre, initiative éditoriale neuve, 4 000 répétitions d’une première illustration. Chaque fois que Van Gogh fait allusion à un artiste, une vignette rappelle en marge le tableau reproduit en pleine page. Ces lettres se trouvent écrites en deux langues. Van Gogh était polyglotte. Il aimait écrire. Ses lettres à Théo, souvent écrites en français, révèlent ses dons d’écrivain. Antonin Artaud disait : « Van Gogh a renoncé en peignant à raconter des histoires qu’il aurait sans doute racontées magnifiquement. »

Les lettres sont annotées sobrement. Et le sixième volume de l’ensemble réunit une abondance de documents : contexte et historique de la correspondance, biographie de Van Gogh, chronologie, cartes et plans des lieux qu’il a fréquentés, un glossaire des termes techniques, des index qui permettent une circulation facile dans l’œuvre de Van Gogh et ses entours, ses lectures favorites (Daudet, le Loti de Madame Chrysanthème, La Dame aux camélias…), les rencontres, la famille, les amis. On ne peut que mieux jouir de ces lettres quand elles s’inscrivent dans les journées de Van Gogh, la vue des objets qu’il découvre, regarde et dessine, en faisant d’avance la matière des tableaux hauts en couleur. Sur les croquis dont les lettres sont semées, des initiales, sur un toit, un sol, un arbre sont celles des couleurs futures du tableau fait et qu’il a d’abord imaginées. Les reproductions parfaites offrent ce chemin à notre regard. Miró, grand admirateur de Van Gogh travaillait de la même façon.

Les cinq volumes des lettres s’échelonnent de 1872 à 1890 (Van Gogh, né en 1853, est mort en 1890). Le premier volume est presque tout entier hollandais, mis à part un voyage à Londres pour connaître la peinture anglaise qu’on ne voit qu’en Angleterre. Il découvre Millais, Constable, Turner. Mais le temps est « affreux ». Il hante les musées, comme à Amsterdam. Le deuxième volume (1881-1883) contient des lettres écrites à La Haye. Il écrit qu’il a fait deux dessins, un portrait et un paysage. « Celui-ci, Les Racines, représente quelques racines d’arbres dans un sol sablonneux. J’ai essayé d’imprégner le paysage du même sentiment que la figure » (Lettre à Théo du 1er mai 1882). Cet isomorphisme du paysage et des visages, il y restera fidèle.

En 1883-1887, Van Gogh voyage : Nuenen, Anvers, Paris où il passe deux années. Sa palette devient lumineuse, colorée. Il s’enthousiasme pour Bel-Ami. Va au Louvre. Dit qu’il peint des fleurs – pour la couleur. Mais en 1887 ce sont, sans couleurs flamboyantes, les Tournesols séchés, deux tableaux où tout Van Gogh éclate (vol 3, p. 373).

Le quatrième volume (1888-1889) offre toutes les lettres écrites à Arles. Il y était venu chercher le bleu du ciel qui fait le fond des Tournesols séchés. Les tournesols dans des pots de terre bichromes, se multiplient, entre fond et support, comme des expériences rythmiques : rencontres des couleurs, l’épreuve de leur « amitié », selon le terme d’atelier qu’aimait Proust. Les lettres s’emplissent de croquis qui ont conduit à des tableaux célèbres : La Chambre à coucher (lettres 705-706), la vieille diligence de Tartarin de Tarascon dessinée avant d’atteindre son accord violent du rouge et du vert.

À Arles Van Gogh découvre des personnages. Outre les belles Arlésiennes, un personnage qui deviendra son modèle et son ami. D’abord innommé, il est présenté dans une lettre à Théo du 31 juillet 1888 : « un facteur en uniforme bleu agrémenté d’or, grosse figure barbue très socratique. Républicain enragé comme le père Tanguy. Un homme plus intéressant que bien des gens ».

Face à la lettre, en pleine page, un portrait de cet homme, daté de la même année. Sur un fond clair se détache le bleu de Prusse de l’uniforme sur lequel s’étale la barbe.

C’est le postier Roulin. Pierre Michon dans sa Vie de Joseph Roulin le décrit : « Il portait une grande barbe en fer de bêche, riche à peindre, toute en forêts. »

Mais Michon va plus loin, faisant du postier que Van Gogh connut à Arles et avec qui il correspondra quand il fut muté à Marseille, faisant de Joseph Roulin le parangon de sa propre entreprise d’écrire sur la peinture. Plus nettement que dans Les Onze : « C’est un personnage de bien peu de profit quand on se mêle d’écrire sur la peinture. Il me convient. Il est exténué et peut-être gai comme la forme. Il est vide comme un rythme. La scansion vaine, despotique et sourde qui soutient ce qu’on écrit, l’alimente et l’épuise, je veux ici qu’elle porte son nom, je veux qu’elle endosse à l’instant la vareuse et la casquette des Postes ; qu’elle vieillisse à Marseille et se souvienne d’Arles ; qu’une barbe lui pousse ; elle apparaîtra en bleu de Prusse, alcoolique et républicaine ; elle n’entendra goutte aux tableaux ; elle sera moujik, ou barine s’il me chante – et qu’elle soit tout à fait arbitraire, comme d’habitude, mais que très visible elle vienne au jour, se manifeste et meure. »

Selon la méthode d’organisation de cette correspondance, on trouve en pleine page ou en demi-pages des portraits de Roulin et des vignettes de rappel des portraits en marge des lettres où il est mentionné.

Mais parmi ces lettres, une, avant et après la description de son « modèle », étonne. Adressée à son « copain », le peintre Émile Bernard, il y est question des rapports entre l’activité picturale et l’activité sexuelle. Degas « regarde les animaux humains plus forts que lui bander et baiser, et il les peint bien, justement parce qu’il n’a pas de toute façon la prétention de bander ». Rubens : bel homme et son baiseur. Courbet aussi. Delacroix ne se souciait pas de dérober en baisant du temps consacré à la peinture. Quant à lui, Van Gogh, il « se trouve assez bien de continence ». Elle est favorable à la création. Cézanne « s’il bande bien dans son œuvre, c’est que ce n’est pas un trop évaporé par la noce ».

Cézanne est cité dix-huit fois dans la correspondance, Monticelli, soixante. Si Van Gogh est venu dans le Midi, c’est pour le soleil, mais aussi parce qu’ils pensent lui et son frère, de la galerie Goupil, trouver à Marseille des occasions d’acquérir des Monticelli. Mais Vincent s’identifie au peintre marseillais, mort en 1886. Il y a deux ans qu’il est mort quand Vincent écrit à Théo : « Tu sais que moi j’ai toujours la prétention de continuer la besogne que Monticelli a commencée ici. »

Et Gauguin disait de son ami d’Arles : « Songeant à Monticelli il  pleurait. »

Georges Raillard

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