« Eh bien, trente ans, c’est long. En trente ans des gens, des amis, des collaborateurs, des lecteurs ont disparu, d’autres sont venus, des étudiants, des jeunes, le monde a changé, La Quinzaine aussi.

[…] 

Le Monde des livres n’existait pas encore. Il ne viendra qu’après nous, comme Le Magazine littéraire.

De toute façon, Erval et moi nous voulions faire autre chose. Quelque chose qui nous plairait d’abord à nous, que nous aurions plaisir à mettre sur pied. Qui intéresserait également des amis, des écrivains que nous aimions, des liseurs, des amateurs un peu difficiles… Aucun désir d’endoctrinement, de propagande, d’engagement politique ou confessionnel, d’enseignement. Tout juste un peu de pédagogie conviviale à propos des goûts que nous voulions partager avec d’autres, voire faire partager. Nous négligerions les best sellers, regarderions d’un œil amusé la foire annuelle des prix littéraires, passerions sous silence les m’as-tu-vu du roman alimentaire et des médias au profit de ce qui nous tenait à cœur : la littérature, le mouvement des idées, la création, l’innovation, la découverte dans les domaines divers de ce que recouvre l’affreux mot de « culturel ».

Les lecteurs ne viendraient pas en foule, nous le savions, on nous taxerait d’élitisme et on nous trouverait illisibles, mais si nous en intéressions trente mille – c’est le chiffre que nous nous étions fixés, et qui faisait se gausser Lazareff ou Filipacchi (mis au courant de nos premières démarches. Pensez donc : un journal qui n’envisage pas de tirer à cent mille !) – ces trente mille nous permettraient d’attendre que les imprimeurs encaissent leurs traites. Quant à la matière première, les livres, elle nous serait fournie par les éditeurs. C’était leur intérêt, non ?

[…]

Constatez que, défiant toutes les prévisions, La Quinzaine est toujours là. Elle a vécu, elle vit, selon Blanchot, « plus longtemps qu’il ne lui était promis… »

Extraits de l’éditorial de Maurice Nadeau pour les 30 ans de la Quinzaine littéraire (QL n ° 689, 15 mars 1996).