A lire aussi

Odilon Redon l'étrange

Dans les salles où récemment fit florès « la vogue de l’impressionnisme » (André Breton), l’œuvre d’Odilon Redon. Breton encore, dans le même texte, recueilli dans Le Surréalisme et la Peinture, cite ce propos de Redon : « Le bateau impressionniste trop bas de plafond ». Et Gauguin, qui admirait avec déférence Redon, avançant cette formule : « Les impressionnistes se cherchent autour de l’œil et non au centre mystérieux de la pensée. » Énigmatique, étrange, une œuvre dont l’auteur voulait que le sens demeurât : « indéterminé ». Il y a de quoi y réfléchir dans la vaste exposition du Grand Palais.

EXPOSITION
ODILON REDON
PRINCE DU RÊVE, 1840-1916
Grand Palais, 23 mars – 20 juin 2011
Catalogue sous la direction de Rodolphe Rapetti
RMN Grand Palais/Musée d’Orsay,
464 p., 50 €

Dans les salles où récemment fit florès « la vogue de l’impressionnisme » (André Breton), l’œuvre d’Odilon Redon. Breton encore, dans le même texte, recueilli dans Le Surréalisme et la Peinture, cite ce propos de Redon : « Le bateau impressionniste trop bas de plafond ». Et Gauguin, qui admirait avec déférence Redon, avançant cette formule : « Les impressionnistes se cherchent autour de l’œil et non au centre mystérieux de la pensée. » Énigmatique, étrange, une œuvre dont l’auteur voulait que le sens demeurât : « indéterminé ». Il y a de quoi y réfléchir dans la vaste exposition du Grand Palais.

Les écrivains les plus rares surent voir Redon. Les Lettres à Redon (publiées en 1960 chez José Corti, le libraire des surréalistes) sont de Mallarmé, l’ami proche, de Gauguin, Bresdin, Huysmans, le plus pénétrant et le plus enthousiaste des admirateurs. À propos d’une lithographie (L’Araignée) : « C’est du Redon de derrière de très profonds et inaccessibles fagots ! »

Son étrangeté, c’est par la pratique de la gravure, apprise de Rodolphe Bresdin, que Redon lui donne forme. Un seul ouvrage sur cet artiste méconnu : L’inextricable graveur, Rodolphe Bresdin (1913) (1). L’auteur en est Robert de Montesquiou qui fournit à Huysmans le modèle de Des Esseintes.

Aux murs du héros « décadent » d’À rebours, voisinent Bresdin et Redon. Du premier, La Comédie de la Mort, « où dans un invraisemblable paysage, hérissé d’arbres, de taillis, de touffes, affectant des formes de démons et de fantômes, couvert d’oiseaux à têtes de rats, à queues de légumes, sur un terrain semé de vertèbres, de côtes, de crânes ». Sur un autre mur, « d’autres cadres (…) signés Odilon Redon » : « une épouvantable araignée logeant au milieu de son corps une face humaine (…). Un énorme dé à jouer où clignait une paupière triste ».

Huysmans compare Redon à Goya. Il le nomme « le Prince des mystérieux rêves, le Paysagiste des eaux souterraines ». Dans un espace inconnu peut apparaître « une tête sans corps trouée d’un œil énorme de Cyclope ». L’œil, tel ceux de Bruegel ou de Miró, peut devenir « soleil au noyau d’encre émergeant de l’ombre » et « éclatant ainsi qu’un crachat de décoration ». (Écrits sur l’art 1867-1905, Bartillat, 2006).

En 1879, un album de lithographies, Dans le rêve, met en scène deux minuscules personnages devant l’appellation géante, entre deux colonnes, d’un œil solaire, sur fond de nuit. Le titre de cette planche est Vision. À prendre aux deux sens du mot. Deux ans plus tard, un œil « réaliste », sauf qu’il occupe tout un visage encadré d’une chevelure noire que le fusain prolonge en irradiations sur le fond. Ici un double titre, Vision ou L’Œil, écarte toute interprétation simple.

Le lecteur de l’œuvre peut ainsi se laisser guider par des textes élus par Odilon Redon. En 1882, paraissent les Nouvelles histoires extraordinaires de Poe traduites par Baudelaire. Une nouvelle, Le Cœur révélateur, est à l’origine d’un fusain du même titre. Le récit de Poe est modifié. Au profit d’une composition à la Max Ernst qui fait apparaître un œil entre deux planches dont les veines du bois donnent forme à un autre œil.

Poe et La Tentation de saint Antoine qu’il lit en 1882 offrent à Redon des scènes. Mais ce qu’il écrivait dans son journal (À soi-même, José Corti, 1961), au sujet de Bresdin vaut pour lui-même : « Ce visionnaire, dont les yeux et le cœur étaient ouvertement fixés sur le monde de l’apparence, pointillait, à l’aide de la plume seule, les éléments les plus menus propres à l’expression de son rêve. »

L’apparence, dans Les Yeux d’Hélène (1882), c’est à la droite de la feuille, les arbres qui pourraient ouvrir à un passage. Mais ils s’effacent, oblitérés par le regard sur nous de deux grands yeux noirs. Le titre de ce fusain est celui du texte de Mallarmé. Dans ses Poèmes d’Edgar Poe, on lit À Hélène, souvenir d’une rencontre fortuite qui devint un souvenir durable : « Je te vis une fois – une seule fois – il y a des années. » Lunes, fleurs, odeurs… « Tout, tout expire, sauf toi, sauf moins que toi, sauf seulement la divine lumière de tes yeux. » La lumière des yeux d’Hélène recueillie par Redon est moins divine que térébrante. Relevant néanmoins d’une même obsession : « Tes yeux seulement demeurèrent. Ils ne voulurent pas partir ; – ils ne sont jamais partis encore ! »

Après les « noirs », lithograchie, fusain, Odilon Redon développa, en sens divers, et avec un bonheur inégal, son œuvre en couleur. Des fleurs en parfait assemblage de couleurs (1903) dans un vase noir brossé à grands traits. La rencontre d’un rouge strident et d’un jaune des fleurs dans l’Hommage à Gauguin. Mais les bouquets en série, peints sur commande. Comme aussi, contrastant avec des portraits troublants, celui de Mme de Domecy (1900), commande du mécène de Redon. Maurice Denis louait, aux dépens du portrait du modèle, la lumière des fonds, alliant scintillements et moisissures.

L’Autoportrait, est strictement conventionnel. On chercherait en vain dans ce visage les traits d’un homme qui gardait sur la cheminée de son appartement une coquille, qu’il peignait en accentuant le rose des lèvres de son ouverture (1912) Vénus naissant de la coquille de la cheminée.

À la fin de sa carrière, Odilon Redon, comme Gustave Moreau, use de toutes les ressources de la peinture-peinture. Depuis toujours il avait sous les yeux deux tableaux de Monticelli. Comme Van Gogh, il aimait les « empâtements » du peintre marseillais. À l’exposition on regardera de près La Visitation. Le sens de la « peinture » reste bien « indéterminé » (2).

  1. En 2000, la Bibliothèque nationale de France présente une exposition Rodolphe Bresdin. Catalogue par Maxime Préaud.
  2. Je me permets de renvoyer à mon Monticelli l’étrange, André Dimanche, 2008.
Georges Raillard