Sur le même sujet

A lire aussi

Aimé Césaire, Lam et Picasso

Une exposition envoûtante. La scénographie de Hubert Le Gall introduit l’intrus que nous pensons ne plus être dans les profondeurs de la forêt tropicale. Des peintures, des dessins de Lam, de Picasso (une seule peinture), de Masson apportent ici leur rayonnement. Et, génératrice des figures, la parole, poétique et subversive d’« un grand poète noir » (André Breton), Aimé Césaire.

EXPOSITION
AIMÉ CÉSAIRE, LAM, PICASSO
« Nous nous sommes trouvés »
Galerie nationale du Grand Palais
16 mars – 6 juin 2011
Catalogues sous la direction de Daniel Maximin
et Anne Egger, 2 vol. illustrés de 96 et 112 p.,
22,50 € chacun

Une exposition envoûtante. La scénographie de Hubert Le Gall introduit l’intrus que nous pensons ne plus être dans les profondeurs de la forêt tropicale. Des peintures, des dessins de Lam, de Picasso (une seule peinture), de Masson apportent ici leur rayonnement. Et, génératrice des figures, la parole, poétique et subversive d’« un grand poète noir » (André Breton), Aimé Césaire.

À l’entrée dans cette longue salle du dépaysement, des Jungles de Lam, dont la Lumière de la forêt et Le Bruit, au titre évocateur du silence en suspens dans la forêt tropicale. La plus célèbre de ces Jungles est à New York au MoMA. Les tableaux sur le même thème, toujours renouvelé, fait apparaître sur un fond de lumière plombée, une population verticale d’arbres-fétiches, personnages tenant de la sculpture africaine et du vaudou. Ils sont fondés sur leurs rapports chromatiques.

Le peintre chinois-cubain-africain-espagnol avait passé plusieurs années à Madrid. Il avait aimé, au Prado, Bosch et Bruegel. Après les combats de la guerre civile auxquels il prend part, Lam vient en France. Il va voir Picasso qui le présente à Pierre Loeb. Le marchand qui devint son ami, qui avait organisé la première exposition de Miró en 1925, fut d’abord étonné par le travail « exotique » de Lam. Il dit à Picasso : « il est influencé par les Nègres ». Picasso lui répondit avec brusquerie, rapporte Loeb : « il a le droit, lui, il est nègre ! ».

Nègre et ouvert à l’imaginaire blanc. À Marseille, où se trouvent hébergés en 1941 écrivains et peintres surréalistes ou anarchistes, il participe au Jeu de Marseille, tarot surréaliste dessiné par Brauner, Breton, Dominguez, Ernst, Hérold, Lam, Masson. À Lam revient de dessiner les figures d’Alice et de Lautréamont. Aimé Césaire, que Lam rencontrera à la Martinique la même année, voue une égale admiration à Lautréamont.

Lam a quitté Marseille sur le même bateau que Breton. À Fort-de-France, l’un et l’autre rencontrent Aimé Césaire. Ils « se sont trouvés ». À Lam, à peine arrivé, Césaire offre un tiré à part du cahier d’Un retour au pays natal, avec une dédicace alliant le poème à l’espoir et à la ferveur, ouvrant à une amitié et à des collaborations qui seront constantes toute leur vie – Aimé Césaire 1913-2008 – Wifredo Lam 1902-1982.

André Breton, écrit dans Un grand poète noir : « Cahier d’un retour au pays natal est (…) un document unique, irremplaçable. À lui seul le titre tout effacé du poème tend à nous placer au cœur du conflit, que, pour lui, il est vital de surmonter. » Ce poème, Césaire l’a écrit à Paris, où, après la Rue d’Ulm, il s’apprête à revenir à la Martinique. Il ne résiste jamais à l’appel de cette île. Appel d’un « parler tout de cajoleries », et appel à la « revendication », parfois couleur d’amertume, voire de désespoir.

Un grand poète noir se trouve dans Martinique charmeuse de serpents. Dans la première édition, les dessins de Masson étaient répartis dans le volume. Cette distribution n’a plus été respectée dans les éditions suivantes. À l’exposition beaucoup de documents, imprimés ou graphiques, permettent de suivre l’œuvre née de la rencontre des peintres et du poète. À l’exposition aussi, deux belles toiles de Masson, dont Antille, du musée Cantini. À Marseille, Breton a écrit l’un de ses longs poèmes les plus complexes, voire des plus abscons, Fata Morgana. Il souhaite que Fata Morgana soit illustré par Lam, on peut voir au Grand Palais les dessins préparatoires à la publication.

Autre rare occasion de rencontre et de découverte, la collaboration de Césaire et de Picasso. Ils ne se sont rencontrés que tard, en 1948, au Congrès des intellectuels pour la paix à Wroclaw. Césaire avait été élu député de la Martinique sur une liste communiste. Il avait, l’année précédente, écrit à Picasso pour lui demander de « faire le monument que la Martinique veut ériger en souvenir de l’abolition de l’esclavage des Nègres (…). Nul ne semble plus qualifié que le peintre de Guernica pour célébrer cette revanche de la vie sur l’oppression ». Sans suite.

Par contre, Picasso donne à Césaire une tête du Nègre « debout et libre », « Poète couronné » pour l’affiche du premier Congrès des écrivains et artistes noirs, à la Sorbonne en 1956. Aquatintes, ou pointes sèches, accompagnent les mots de Césaire.MOT, écrit par Picasso, sur le front d’un masque noir, en face du poème de Césaire.

« Mot

le mot nègre
un grésillement de chairs qui brûlent
âcre et de corne
le mot nègre
comme le soleil qui saigne de la griffe
sur le trottoir des nuages
le mot nègre
comme le dernier rire vêlé de l’innocence
entre les crocs du tigre. »

Georges Raillard

Vous aimerez aussi