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Sam Szafran

Une exposition ample : des œuvres, des séries connues, mais aussi une rare confrontation dont on ne peut saisir – ou sentir – rapidement les richesses en présence (1).

EXPOSITION
SAM SZAFRAN
Galerie Claude Bernard
7-9, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris
Du 22 mai au 5 juillet 2014

Une exposition ample : des œuvres, des séries connues, mais aussi une rare confrontation dont on ne peut saisir – ou sentir – rapidement les richesses en présence (1).

Deux œuvres au pastel : Sans-titre ; Escalier, rue de Seine. L’une est de 1981, l’autre de 1984 : une géométrie vertigineuse, une perspective dépravée, le dessin des rampes (branches, serpents ?), la matière des marches, le carrelage, du blanc au bleu par le noir, le brun, la parataxe des couleurs. Parataxe plutôt que syntaxe. L’escalier peut, en effet, aboutir, dans un éblouissement de couleurs, tout en bas, à un suspens de significations.

Jean Clair, à qui l’on doit une monographie substantielle sur l’œuvre de Sam Szafran (Skira, 1996), a décrit l’apport décisif du pastel à l’œuvre du peintre. À l’Atelier – un titre d’œuvre –, rangés par couleurs, les mille huit cents bâtonnets de pastel jouaient leur double jeu : artisans et personnages.

Dans la série L’Escalier Bellini (1972), notre regard s’enfonce, plonge, suit un escalier jusqu’à sa courbe, jusqu’à une double lumière, celle d’un éclairage émané dont on ne sait où, et l’éclat provenant des boîtes de pastel. Descente vers quoi ? Besoin goethéen de « plus de lumière » ? Mais, dans un Escalier Bellini, le mouvement est inversé : nous sommes en bas, la lumière en haut.

Notre place ? Des compositions de rhododendrons ont mangé l’espace. Les feuilles ont incorporé les feuilles du support. Mais quoi supporte quoi ? L’une de ces très grandes compositions, aquarelle sur soie, de 2012, est intitulée Hommage à Jean Clair pour son exposition « Cosmos ». À droite, à côté de tiges en rampes d’escalier, un personnage est assis sur un banc. Ce petit personnage, seul, et qui apparaît dans d’autres compositions aux feuillages, est nommé dans le titre « Lilette », l’épouse du peintre.

Ce personnage est assis sur un banc facilement identifiable. Ce banc est l’œuvre de Gaudí. Il a dû appartenir à la Sagrada Família. On peut se souvenir : en 1922, André Breton est à Barcelone. Il prononce une conférence devant les « messieurs » de l’Ateneo : « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe ». Breton a cette captatio benevolentiae : à Barcelone, où il confesse tout ignorer du « désir espagnol », il y a « une église en construction qui, dit-il, ne me déplaît pas, si j’oublie que c’est une église ».

Les feuillages, les animaux de la Sainte Famille étaient liés « au monument à Dieu » composé par l’architecte de la cathédrale. Vue courte de Breton ? Ou bien changer la vue pour changer la vie ? D’un revers de phrase, le jeune Breton conduisait les messieurs de l’Athénée de Barcelone à considérer un des caractères majeurs de l’évolution moderne de l’art. Sam Szafran, en artiste, nous fait voir cette question, et non une réponse.

  1. Le catalogue, remarquable, contient notamment des textes de Jean Clair et de Michel Guy.
Georges Raillard