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Alechinsky : les Ateliers du Midi

 « Ce qu’il peint (…) c’est l’en-mouvement des êtres. » C’est Hélène Cixous qui écrit dans le texte, allant au vif, qui ouvre le catalogue des Ateliers du Midi d’Alechinsky, une belle exposition, toute de clarté.

EXPOSITION
ALECHINSKY
LES ATELIERS DU MIDI
Musée Granet Aix-en-Provence
5 juin-3 octobre 2010
Au catalogue des textes de Hélène Cixous,
Daniel Abadie et Pierre Alechinsky.
Gallimard/Musée Granet éditeurs, 220 p. illus., 29 €

 « Ce qu’il peint (…) c’est l’en-mouvement des êtres. » C’est Hélène Cixous qui écrit dans le texte, allant au vif, qui ouvre le catalogue des Ateliers du Midi d’Alechinsky, une belle exposition, toute de clarté.

En-mouvement des êtres, des figures, des suites dans les prédelles, en-mouvement d’Alechinsky dans sa pratique picturale – sa découverte de l’usage de l’acrylique, l’estampage. En-mouvement du Nord au Sud, d’un atelier à l’autre, d’une lumière à l’autre, d’un nouveau mouvement de la main, de l’imaginaire du peintre. Il y a beaucoup à voir à Aix.

Au musée Granet, rénové, éclairé, enrichi d’une prestigieuse donation, notre regard suit l’œuvre d’Alechinsky dans un ensemble choisi : peinture, dessin, lithographie, livres de porcelaine, ouvrages composés en alliance avec des dizaines de poètes, et, souvent encore, l’écrit et le dessin sont en dialogue.

De Volturno, qui fut, à l’origine, un texte de Blaise Cendrars, on gagne des formes multiples, qui, de l’ensemble de ces planches, font un livre commun à Cendrars et à Alechinsky.

Dans Le Rêve de l’Ammonite se rencontrent un texte de Michel Butor, des eaux-fortes et des lithographies aux couleurs éclatantes, et, en noir, des resuivis du texte. Où loger Le Rêve de l’Ammonite ? Rêve objectif ou subjectif ? Notre rêve, qui se découvre dans la vague, les astres, l’origine du monde, ses formes primitives. « Son monde, écrit encore Hélène Cixous, s’étend des échevèlements primordiaux aux premières formes géométriques. » Cela est vrai de toute l’œuvre d’Alechinsky.

Les échevèlements, l’homme du Nord les a rencontrés sur les plages de la Méditerranée, lors de son premier séjour à Tourettes-sur-Loup en 1952. Les racines, mi-végétales, mi-animales. Alechinsky a conservé ses découvertes. Elles ont engendré des dessins, des gravures, une longue postérité. Comme chez Miró, photographié sur une plage des Baléares, tenant à la main une de ces « racines » dont Hélène Cixous écrit : « La Nature est tout. Nature, sculpture, peinture, dessin, fossile et embryon, babouin et dieu. »

Ou diable. En 1937, aux premiers mois de la guerre civile en Espagne, Picasso compose Songe et mensonges de Franco. Le dictateur tient déjà quelque chose de la racine vermiculaire qu’Alechinsky traitera en 1952.

De Picasso Alechinsky héritera aussi le système de représentation en vignettes, celui de Songe et mensonges de Franco. En 1966 il dessine et compose sur ce schéma Journal déplié, suite d’images ironiques et agressives... Ces vignettes sont aussi celles des prédelles entourant un motif central, avec qui elles sont en communication, évidente ou latente.

Les lignes serpentines de l’humour et l’ombre de la mort vont souvent ensemble dans cette œuvre. Sur la route du Tholonet (celle de Cézanne dont Alechinsky ne suit pas la trace) il peint en 1968 un grand tableau Le Tour du Sujet. Sur la grande surface médiane le vert et le bleu font s’enlacer la peinture et l’écriture – un dédoublement à la Christian Dotremont. Cette composition se lit aussi dans la suite des « remarques » marginales tracées à l’encre – femmes, triangles, vagues, serpents, têtes de mort... Et sollicitant un regard attentif se dévoile au centre du tableau, verte, peinte d’une touche rapide, un chef de Capricorne auquel le double au trait noir répond dans une vignette. C’est bien Le Tour du Sujet. Art et cosmologie vont ici de pair. Le trait du peintre sur des manuscrits au rebut – successions, factures anciennes – donne lieu à des « appropriations » : l’humour règne dans Matisse à Nice ou Le Chapeau de Mirabeau. Et le peintre, qui est aussi un écrivain abondant et aigu, note dans Le Tout Venant en 1966 : « L’art, c’est de la mort soulignée. » Et à la suite, « Le noir, une cape agitée. Son bruit fait glisser les idées bousillées, oui et non, vers le trou d’où on ne re... ».

Dans toute l’œuvre, le noir s’impose. Noir de fumée, d’ombre et d’os : une très grande encore sur papier marouflée sur toile. Des têtes, des crânes retiennent notre regard. À l’opposé de l’huile sur toile de 1966, Au Tholonet, assemblage de couleurs, et du Bleu de Delft, en 1972, un bleu qui est aussi le Bleu d’Alechinsky.

D’une autre encore, c’est un sous-titre du texte de Daniel Abadie ordonnateur de l’exposition. Sur la page d’en face, le catalogue reproduit une encre sur papier en tous points remarquable. En son centre, une figure noire dominée par une tête de mort émergeant d’une nappe d’ombre, unie à gauche, striée à droite. Un bras droit trace une portée de lignes horizontales sur une feuille rectangulaire dont un angle pénètre sur une prédelle, noire parmi les vignettes rouges : l’une est la figure d’un heaume. Sur l’autre se reconnaît aisément la photographie de Georges Duby. Le Professeur d’Histoire des sociétés médiévales au Collège de France est mort en 1996. Alechinsky le rencontrait dans sa résidence de la route du Tholonet. An 1986 il intitule ainsi « Revenons à l’esprit de Georges Duby : Guillaume le Maréchal. C’est l’une des œuvres majeures.

L’esprit de Duby ? Alechinsky surcharge de vieux papiers, en tire une histoire neuve. Duby note la parenté de son métier avec la pratique d’Alechinsky : « je “traite” moi aussi des papiers ».

Guillaume le Maréchal est de 1984. Des quelque vingt mille vers du trouvère Duby enchâsse quelques dizaines. Pour le reste il compose un récit : successions de noms, de biens, de royaumes, de combats, de lances, de heaumes, de hauberts dont les vignettes d’Alechinsky gardent la trace. Tout un monde écrit en personnages, en faits et gestes. Et aussi transcrit en lignes. L’Histoire et les figures, la Peinture et ses deux registres, la représentation et l’abstraction sont dans cette composition mis en scène.

Un visage du scripteur à d’autres, la mort se profile. C’est le visage de Distincte encore, « évoquant, écrit Alechinsky, ma mère dans sa nonantième année » (1989). En 1988-90, il peint, tourmenté, La Mer noire, sous-titré « à la mémoire de mon père ». Traits appuyés formant figure sur l’écriture, lisons cette invite à regarder, à lire : « le trésor de ton corps, je lui rêve une terre ».

Alechinsky dit qu’il a appris à dessiner en regardant les arbres. Deux arbres, l’un sur fond bleu, l’autre sur fond noir, enracinant le rêve et l’art du peintre.

Georges Raillard

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