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Bonnard dans la lumière de la Méditerranée

En juin, au Cannet, s’est ouvert, sobre, le musée Bonnard. Il était temps que fût reconnu et visible sur son territoire le peintre dont l’art avait été depuis 1966 transformé et revivifié par la lumière de la Méditerranée.

EXPOSITION
BONNARD ET LE CANNET DANS LA
LUMIÈRE DE LA MÉDITERRANÉE
Musée Bonnard, 06110 Le Cannet
26 juin – 25 septembre 2011
Un catalogue publié sous la direction de Véronique
Serrano
Coédition musée Bonnard/Hazan,160 p., 200 ill., 25 €

En juin, au Cannet, s’est ouvert, sobre, le musée Bonnard. Il était temps que fût reconnu et visible sur son territoire le peintre dont l’art avait été depuis 1966 transformé et revivifié par la lumière de la Méditerranée.

Les œuvres exposées au Cannet où Bonnard acheta en 1926 une petite propriété ouvrent sur des arbres et sur la mer, l’intérieur d’une maison ascétique où Bonnard fit seulement installé une salle de bains – à l’origine des femmes au bain (toujours la sienne), des baignoires, en peinture, ou au crayon sur les précieux agendas où, superposé aux croquis sur le vif, est noté au jour le jour le temps qu’il fait, généralement « beau ». Sauf sur cette page, sous un croquis en trois parties, en trois gris, par temps pluvieux cette note : « vision sentimentale qui tient le mur ».

Tenir le mur. Une anecdote est célèbre, on la trouve au catalogue, dans les Extraits de journal et souvenirs sur Pierre Bonnard, par Gisèle Belleud. Une toute jeune fille de 15 ou 16 ans, quand sa mère la conduit chez le peintre. Démarche audacieuse en faveur d’une apprentie. Bonnard l’accueille. Elle viendra le voir chaque jour de 1937 à la mort de l’artiste en 1947 (il est né en 1867). Elle raconte la visite du peintre à une exposition de ses œuvres. Dans le dos du gardien, il retouche brièvement un coin de la toile qui maintenant lui déplaît. 

Le regard du maître sur les travaux de l’élève, et vice versa, nous ouvre le territoire de Bonnard, solitaire, menant une vie presque monacale, vivant « pour immortaliser une fleur, ou le reflet d’une âme, et laisser après soi une œuvre qui demeure au-delà de la mort ».

La technique, les couleurs, les matières, les formes, les perspectives, le dialogue avec l’autoportrait, tout cela est rendu, vivant, dans les dix dernières années de l’existence de Bonnard. On saisit ainsi des notes qui résument son art : « la couleur, c’est le raisonnement ». Ou, moins connu, ce propos recueilli par l’élève sur l’origine des « carreaux » dans la peinture de Bonnard : « c’était un temps où l’on construisait le métro, tout le monde faisait des courbes, j’ai voulu moi aussi faire comme les autres, et à force de tourner en rond je suis tombé sur le carreau ».

À l’exposition, d’abord des œuvres mettant en scène le port de Saint-Tropez bâties sur des verticales et des obliques (1911), et des marines où s’affrontent les mouvements de rencontre des couleurs. Puis les intérieurs. Désignés au catalogue sous le titre « vie intérieure » : des objets s’enlèvent sur des fonds de « carreaux ». Suite verticale de carreaux dans la femme à la toilette au corps lové devant des affrontements de brosses. Plus tôt, tout au contraire, une frise horizontale de cinq carreaux jaunes comme le double ou le reflet abstrait du corps de la femme immobilisée dans la baignoire. Entre les deux une plage de blanc. Des carreaux aussi derrière l’autoportrait 1930 de Bonnard à la veste aux rayures symétriques bleues et jaunes. L’autoportrait de 1945 et les ustensiles de cuisine de la même année ressortent audacieusement sur de semblables carreaux. Toute de carrelage la construction jaune de La Terrasse ensoleillée ouvrant sur un petit personnage, un paysage, et surtout sur la plus hardie mise en scène, en oblique, comme chez Proust, de formes et de couleurs.

À la fin de sa vie, Bonnard peint au Cannet L’Atelier au mimosa : un jaune tenu par une verrière où conduit l’oblique d’une rampe d’appui. Peu après, Le Jardin au Cannet et L’Amandier en fleur ne sont plus que liberté, efflorescence des couleurs, soutenues par l’action du blanc ici recouvré.

Cet Amandier en fleur occupe tout l’espace. Solitaire, droit, blanc sinon, à l’horizontale comme un bras noir aux extrémités griffues, un signe décharné, énigmatique. 

Nous le lisons, transfiguré par Proust dans sa description du Poirier en fleurs du Côté de Guermantes : « nous coupâmes par le village. Les maisons en étaient sordides. Mais à côté des plus misérables, de celles qui avaient l’air d’avoir été brûlées par une pluie de salpêtre, un mystérieux voyageur, arrêté pour un jour dans la cité maudite, un ange resplendissant se tenait debout, étendant largement sur elle la protection de ses ailes d’innocence : c’était un poirier en fleurs ».

Georges Raillard