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Charles Dantzig a bien voulu confier à La Nouvelle Quinzaine littéraire le soin de pré-publier ces extraits d’un article qu’il signe dans le prochain numéro de la jeune revue Le Courage (Grasset). Voici donc une esquisse de ses « Propositions pour une typologie des salauds ».

Je ne sais pas ce que sont les gens, je sais ce qu’ils font. On se laisse abuser par l’analyse des personnalités, qui cherche et peut-être trouve des raisons aux comportements. Ce ne sont que des raisons. Elles ont ceci de bien qu’elles poussent aux excuses, parfois trop ; surtout envers les salauds. Les salauds sont très favorisés par rapport aux gens bien. À ceux-là on ne cherche jamais de raisons. Ils sont bien, c’est la moindre des choses ; et on ne leur en sait pas plus gré que ça. 

Ce n’est pas parce qu’on ne dit pas être une chose qu’on ne l’est pas.
Ce n’est pas parce qu’on dit ne pas être une chose qu’on ne l’est pas.
Les salauds se cachent en se camouflant.
Les salauds se cachent en se récriant.
Disons qu’un salaud est quelqu’un qui utilise son pouvoir pour nuire à plus faible que lui. 

Un type de salaud est le comique qui s’arroge une mission. À force de s’enrichir impunément par la malveillance, il s’est cru tout-puissant et dit ce qu’il pense, le peu qu’il pense, les bassesses qu’il pense. Dans les temps populistes, certains arrivent à l’élection. Le bouffon devient roi, comme le comique Jimmy Morales, élu président de la République du Guatemala en 2015. Nous en aurons un en France, sorti d’une bauge télévisée ou d’une autre. 

(…) La calomnie publique suivie de la caresse privée, cela peut être un autre type de caractérisation du salaud. 

De même, tenter de tirer un profit politique au détriment de l’humanité. Un exemple en est la très obscure Valérie Pécresse. Cette ancienne vague ministre sous Sarkozy, imitant son maître qui avait proclamé lors d’un discours de campagne pour sa réélection que les gays sont de mauvais Français (campagne perdue ; les fantômes de Louis XIII, de Cambacérès et du maréchal Lyautey ont bourré les urnes), a déclaré plusieurs fois que la droite revenue au pouvoir non seulement annulerait le mariage gay mais démarierait les gens. Démarier les gens ! Je ne crois pas qu’aucun politicien raciste du sud des États- Unis ait osé déclarer une chose semblable après la fin de la ségrégation. Elle si, ses minces lèvres souriant, le regard pincé de haine. Dans une interview, cette personne qui déplore la perte du sens civique et de la politesse et ne peut commencer une phrase sans dire « moi je » a dit avoir changé d’avis ; elle en a rechangé ; elle en rechangera, suivant qu’elle est en campagne ou non. Le politicien de basse qualité aboie toujours contre une minorité faible en période électorale. Je l’ai déjà vue avoir un comportement au- dessous de ses devoirs. C’était lors de la réception de Simone Veil à l’Académie française, en 2010. Elle a fait deux ou trois choses, Simone Veil, et en a subi un peu plus que ce génie en tailleur qui a dû tout au plus se casser un ongle en sortant de la voiture dont un chauffeur lui ouvrait la portière. Tout le monde était assis, y compris deux anciens présidents de la République, Chirac et Giscard. Tambours de la garde républicaine. On se lève pour les académiciens entrant sous la coupole, dont Simone Veil, chétive et belle, au bras de Pierre Nora, puis entre Sarkozy, président de la République en exercice, qu’on conduit au centre, entre les deux hémicycles, à un fauteuil. On se rassied après lui. « La séance est ouverte. » Simone Veil se lève et commence à parler, et là arrive Dame Pécresse, ministre accessoire, en retard, non seulement après le président de la République, mais Simone Veil discourant ; et elle secoue ses cheveux blondis et serre son sac à main sous le bras, pardon, pardon, dérangeant tout le monde d’un air faussement gêné pour qu’on la remarque gagnant son banc.

Il n’y aura décidément eu que la vulgarité pour permettre à cette personne de se faire une place dans l’État. 

Les salauds sont des projecteurs de sons. Sons ignobles qui ne peuvent persuader personne ! se disent les gens normaux. Ils oublient que, parmi les auditeurs, il y a des salauds, captant des ultrasons destinés à leurs oreilles et à leurs dents. (…) Les gens bien se taisent, les gens mal déblatèrent. Et c’est comme ça que le mal, parfois, gagne. Le bruit l’a emporté sur la pensée.

Les mots des salauds arment les bras des imbéciles. L’imbécile qui a assassiné Jean Jaurès avait été persuadé par la propagande qu’il était un traître. L’imbécile qui a assassiné Yitzhak Rabin avait été persuadé par la propagande qu’il était un mauvais Juif. L’imbécile qui a assassiné l’archiduc

François-Ferdinand d’Autriche avait été persuadé par la propagande qu’il voulait humilier la Serbie. Ces imbéciles avaient entendu des appels de mort symbolique qu’ils ont mis en acte. En août 2015, on n’en a pas parlé en France, un imbécile a assassiné Malleshappa Kalburgi, professeur de littérature en Inde qui avait osé se moquer de l’idolâtrie hindouiste. Il avait été harcelé de calomnies par les nationalistes hindous. Ces discours indécents, on les supporte. Il faudrait peut-être se rappeler que l’indécence mène au meurtre. 

(…) 

Le salaud guilleret est un type plus dangereux que le salaud aboyeur, on tient moins sa garde. Par les blagues permanentes du député Furnesse dans l’Histoire de l’amour et de la haine, j’ai voulu montrer que l’homophobie est guillerette. Le racisme est guilleret. L’antisémitisme est guilleret. La haine est guillerette.

— Il est extrêmement sympathique. — Ce doit être un salaud. 

(…) 

Les salauds se nourrissent de choses qu’on leur concède.

La droite française a concédé que les dires de l’extrême droite n’étaient pas entièrement faux, et cela profite, non à elle, mais à l’autre. Les salauds inférieurs qui rêvaient de mal voter se sont sentis moins surveillés. 

Toute personne qui oppose les enfants à un fait est un salaud. Les enfants sont hors de l’ordre du raisonnement. Ils deviennent un moyen de chantage. La vie se passe entre adultes, et on n’a pas à rendre les enfants des moyens de pouvoir.

Les gens de pouvoir adorent les rapports de force, même s’ils perdent. La saloperie fait partie du jeu. Ils aiment se voir salauds. « Je suis une merde humaine, yek yek yek. » La perte d’humanité se justifie à elle- même par le cynisme. Ce qui reste une explication suave : d’humanité ils n’ont sans doute jamais eu. 

Les salauds sont appliqués à leur saloperie. Ils ne cherchent qu’à nuire. Les gens normaux créent, travaillent, aiment, vivent. Les salauds ont un avantage d’antériorité ; le bien doit partir à leur poursuite avec cent mètres de retard. 

(…) 

Le salaud n’est jamais seul. Il est soutenu par la saloperie sournoise et camouflée. Tête baissée, anonyme, elle pousse comme dans une mêlée. Et jamais, jamais elle n’est jugée.

Je suis pour nommer les salauds célèbres. Dire leur nom propre, suivi du nom commun « salaud ». Mais les salauds fourbes, fourmillant et impunis ? Les petits, les obscurs, les dégradeurs, qui perpètrent leurs saloperies protégés par l’absence d’éclat de leur métier, de leur allure et de leur personnalité ? La fiction les capture. C’est une de ses fonctions. Sans la fiction, la vie avancerait, niaise, hypocrite et violente, laissant les délicats à la merci des salauds. 

(…) 

On n’a jamais vu quelqu’un aimant Oscar Wilde être un salaud. 

Les salauds sont populaires. 

Le salaud est une invention de la littérature de gauche, l’imbécile est une invention de la littérature de droite. Je prends invention dans le sens de découverte. Les salauds et les imbéciles préexistaient à tout et survivront à tout. Si Adam était un imbécile et Ève une salope, une Ève imbécile et un Adam salaud feront le nœud le jour de l’explosion.