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Des rencontres heureuses

 Paris, au Grand Palais, Soissons, à l’Arsenal, Bourg-en-Bresse, au Monastère royal de Brou : des lieux célèbres ou méconnus où cette semaine l’on pouvait être conduit, comme je l’ai été, à penser que l’art rendait heureux, bien loin, sans doute, des mômeries exhibées à Versailles.

EXPOSITIONS et PUBLICATIONS
FRANCE 1500, entre Moyen Âge et Renaissance
Galerie nationale du Grand Palais
6 octobre 2010 – janvier 2011

 

VISIONS CONTEMPORAINES
DE MARGUERITE D’AUTRICHE
Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse
2 octobre 2010 – 24 janvier 2011
Catalogue présenté par Magali Briat-Philippe
Éd. Monastère royal de Brou, 96 p., 16 €

 

ARSENAL 1995-2010
Musée de Soissons
Ouvrage rétrospectif
Éd. Musée de Soissons/ADACS, 160 p., 20 €

 Paris, au Grand Palais, Soissons, à l’Arsenal, Bourg-en-Bresse, au Monastère royal de Brou : des lieux célèbres ou méconnus où cette semaine l’on pouvait être conduit, comme je l’ai été, à penser que l’art rendait heureux, bien loin, sans doute, des mômeries exhibées à Versailles.

Au Grand Palais, France 1500, une exposition remarquable : elle met sous nos yeux une période – le passage du XVe au XVIe siècle – foisonnante en grands artistes – peintres, sculpteurs, architectes, artisans bâtisseurs, souvent mal connus de nous parce qu’ils ne s’identifient pas à l’histoire de l’art d’un pays, mais qu’ils appartiennent au mouvement européen d’échanges. Passages d’artistes, de styles, de techniques, de matériaux, à la fortune des mariages princiers, et de la politique, ce qui revient au même. Période de création intense.

Une exposition exceptionnelle, en particulier en raison des prêts de l’étranger dont elle a bénéficié. Ainsi venu du Metropolitan Museum, l’admirable portrait de la jeune reine Marguerite (1480-1530) : margarita, la peau d’un éclat de perle fine.

On cite le portrait sous deux noms : Marguerite d’Autriche et Marguerite princesse de Bourgogne. Pour le portrait de Marguerite bébé, c’est Marguerite reine de France – elle a été mariée à trois ans à Charles VIII qui en a treize. Elle épousera, qui mourront successivement, et très tôt, l’infant d’Espagne et Philibert de Savoie.

Le portrait venu de New York a été peint par Jean Hey (dit longtemps le « Maître de Moulins »). Pour une rencontre imprévue et précieuse, on peut voir en même temps le portrait de Marguerite d’Autriche et la même, peinte vingt ans plus tard par Bernard Van Orley, de nouveau au Monastère royal de Brou. Des deux chefs-d’œuvre lequel l’emporte sur l’autre ? On s’arrêtera peut-être au regard, ici, embué de tristesse – un destin calamiteux frappe la jeune femme –, là, l’éclat rayonnant de la princesse qui ordonne le monastère de Brou autour des tombeaux où elle espère retrouver l’amour de Philibert le Beau qui lui donne son énergie.

La fille de Maximilien souverain du Saint Empire romain germanique et de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, elle-même tante de Charles Quint, se sent chez elle à Brou. Elle a voulu bâtir le monastère, la chapelle gothique flamboyant, le jubé qui joint la nef au chœur aux soixante-dix stalles ouvragées et les tombeaux : le « transi » (le gisant), de Marguerite porte sa chevelure torsadée sur la poitrine et le long du corps.

Aujourd’hui le visiteur est saisi par la vie latente de la cathédrale funéraire, par la lumière qui parcourt le vaisseau élevé à plus de vingt mètres. Cette nef a été confiée à Béatrice Casadesus pour une saison, pour le temps d’une exposition sur la réponse que pouvaient donner à Marguerite des artistes d’aujourd’hui. À Béatrice Casadesus revenait le projet central, un espace, une lumière à la mesure de la figure de Marguerite. L’artiste dispose dans sa pratique de ce qu’elle appelle la « mue » : « Dans ma peinture c’est le passage qui s’opère de l’espace plan du tableau, à l’espace de l’architecture. Telle une chrysalide, la peinture quitte l’opacité de la toile pour venir à la lumière. »

Contre la paroi occidentale de l’église, Béatrice Casadesus a bâti une cascade de « mues » – des voiles peints, sur un support appelé intissé qui n’est ni du tissu ni du papier. La cascade, d’une polychromie subtile, raffinée, sensuelle, dévale de plus de seize mètres. Au sol elle aboutit à un moutonnement de vagues. Le regard suit la cascade de haut en bas, se noie dans l’amoncellement des vagues, remonte vers les quatre diptyques appendus aux colonnes de la nef. Béatrice Casadesus aime se référer à Nicolas de Cues (1401-1464) qui dans Le Tableau ou la Vision de Dieu met en valeur la variété du « monde du voir », que « le regard absolu embrasse » dans sa totalité.

Ainsi l’œuvre montée à Brou est une double réponse : à la lumière qui traverse l’architecture et à celle qui émane des deux portraits peints de Marguerite. Elle a composé son dispositif (c’est son mot) : « en s’attachant à l’émanation de la spiritualité de Marguerite d’Autriche il s’agit de rendre visible ce qui ne peut se représenter ». Sinon par métaphore, celle de la peinture quand elle offre à la fois plusieurs manières de voir.

À Soissons, près de l’Arsenal, le squelette gothique d’une église retient le regard. Par les ouvertures de cette façade sans suite, se découvrent le paysage, des maisons, bâties sur le site de l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes. L’Arsenal, malmené par les militaires, a été restauré, réhabilité, a été ouvert à l’art vivant. Un catalogue permet d’évaluer l’ampleur de la transformation intérieure de l’Arsenal et l’orientation des expositions et des acquisitions faites depuis quinze ans. Des acquisitions d’œuvres de Jean Le Gac, Judit Reigl, Christian Sorg, Titus-Carmel (dont une vaste exposition eut lieu de mai à septembre), Béatrice Casadesus, qui sous le titre Le Regard et la Trace a exposé en 2002 des œuvres dont on a vu l’épanouissement à Brou, Daniel Pontoreau…

Pontoreau est un artiste dont l’œuvre allait, dès les années 70, retenir l’attention par son rapport subtil avec la matière du monde et la constitution des choses. Si l’accès au bâtiment était plus aisé, on pourrait voir à Bercy les trois grandes stèles que les architectes du ministère des Finances, Chemetov et Huidobro, avaient commandées au sculpteur : trois énigmes modelées et dressées parmi les horizontales de Bercy. Sculpteur, céramiste ? Pontoreau manie surtout la terre. En 1981, à propos d’une exposition où je découvrais mieux la force et l’intelligence de l’œuvre de Daniel Pontoreau, je soulignais ici même (QL n° 345) que s’il recourt à la terre, matière première et désirable, et à quelques objets relais de la vision et de la pensée – le miroir, la corde, le drap – son œuvre, qui a conservé beaucoup de ses recours initiaux, a pu, dans l’espace monumental, faire apparaître les parentés et les différends qui constituent le monde de Daniel Pontoreau en poème plastique.

Georges Raillard

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