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L’insécurité est climatique

Article publié dans le n°1238 (22 juil. 2021) de Quinzaines

54,4 °C aux États-Unis (record mondial), 49,6 °C au Canada (record mondial à cette latitude), plus de 47 °C au Maroc, des températures caniculaires en Sibérie ainsi qu’à New Delhi qu...

54,4 °C aux États-Unis (record mondial), 49,6 °C au Canada (record mondial à cette latitude), plus de 47 °C au Maroc, des températures caniculaires en Sibérie ainsi qu’à New Delhi qui étouffe (43 °C) au cours de la pire canicule depuis dix ans… Voici quelques-unes des températures extrêmes que populations, faune et flore ont dû supporter aux quatre coins de la planète en ce début de période estivale.

À ces événements climatiques extrêmes il faudrait ajouter les inondations au Japon, la famine liée à la sécheresse à Madagascar, les feux de forêts en Californie, en Sibérie ou à Chypre, ou encore la fonte des glaces et la précocité de la saison des ouragans en Atlantique. Et tant d’autres.

N’en jetez plus, l’urgence est (d’abord ?) climatique, quoi qu’en disent les éditorialistes qui sévissent sur les chaînes d’infos en direct et qui au mieux l’ignorent, au pire la minorent. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir vu les scientifiques, les ONG, des personnalités en tout genre ou encore les jeunes sonner l’alerte depuis des dizaines d’années. Le temps n’est malheureusement plus celui de l’alerte : le réchauffement climatique rend certains territoires invivables, raréfie nos ressources en eau, fragilise notre sécurité alimentaire, hypothèque notre habitat, augmente les risques d’inondation, détruit la biodiversité et les écosystèmes. 

Bref, c’est la pérennité même de conditions d’existence viables et enviables sur une planète vivable qui est en jeu. Notre sûreté est en péril. Plus encore que notre capacité à nous projeter dans l’avenir, c’est bien notre sûreté, cette absence de risque et de danger, ainsi que notre capacité à y faire face, qui sont ébranlées. Entendue comme l’un des quatre « droits naturels et imprescriptibles », selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la sûreté ne doit plus être réduite à la seule garantie dont dispose tout individu contre l’arbitraire de l’État : le droit à la sûreté doit aussi être vu comme le droit à ne pas être soumis à l’arbitraire climatique. 

Cette question commence d’ailleurs à agiter la communauté internationale. Quelques jours à peine après la réintégration formelle des États-Unis dans l’accord de Paris cet hiver, le Conseil de sécurité des Nations unies a débattu des implications du changement climatique sur la paix dans le monde. Présenté comme une menace « pour notre sécurité collective, qu’elle soit alimentaire, énergétique ou physique », pour « la stabilité de notre monde » et même « pour la paix », le réchauffement climatique est désormais perçu comme un facteur de déstabilisation géopolitique.

À mesure qu’il s’aggrave et que l’inertie des politiques publiques empêche de l’enrayer, les liens entre réchauffement climatique et sécurité s’affirment comme décisifs pour les années à venir : de la Syrie à l’Afghanistan en passant par le Mali, les conflits dans le monde et les vulnérabilités aux effets du changement climatique concernent souvent les mêmes pays. À ces constats s’ajoutent les déplacements massifs de populations intra et internationaux que vont générer les phénomènes climatiques extrêmes. 

Catastrophes, conflits et migrations, voilà un cocktail détonant que des frontières, aussi étanches soient-elles, et des armées, aussi puissantes soient-elles, ne pourront résoudre ou résorber. Le secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres, ne s’y trompe pas en proposant de prévenir ces risques par une action climatique résolue, en protégeant les communautés et populations sur les territoires et en plaçant les personnes au centre de l’action. Plus de solidarité, d’égalité, d’État de droit, de respect des droits humains plutôt que plus d’armées et de frontières infranchissables.

Placer les personnes au centre de l’action en matière de sécurité climatique revient à faire de la lutte contre la pauvreté ou contre l’insécurité alimentaire, des enjeux tout aussi décisifs que la protection des écosystèmes ou la sécurisation de l’accès aux ressources. Face à cette solidarité internationale obligatoire, le réchauffement climatique transforme la notion même de « sûreté » : les personnes et les communautés ne doivent pas seulement être protégées de l’arbitraire de l’État, mais aussi avoir les moyens de faire face aux conséquences du réchauffement climatique.

Face au « multiplicateur de menaces », selon les termes du Pentagone, que représente le réchauffement climatique, il est de notre responsabilité collective de démultiplier les réponses, sans les opposer : engager résolument une réduction des émissions de gaz à effet de serre, car chaque tonne de CO2 relâchée dans l’atmosphère compte, transformer profondément les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale, garantir que les besoins essentiels de chacune et chacun puissent être respectés, s’adapter au réchauffement climatique et, enfin, donner les moyens économiques, juridiques et politiques aux populations de faire respecter leur droit à la « sûreté climatique ».

Ne nous résignons pas, il y a tant à faire.

[Maxime Combes est économiste et membre d’Attac France. Il est l’auteur de Sortons de l’âge des fossiles, manifeste pour la transition, paru au Seuil en 2015.]

Maxime Combes

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