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Le cinéma italien en 2014

Article publié dans le n°1115 (01 nov. 2014) de Quinzaines

Peu de dérive cette année dans la vieille ville d’Annecy. D’abord parce que le programme des Rencontres Cinéma italien s’annonçait si intéressant qu’il n’était pas question de faire la séance buissonnière – voir vingt films en quatre jours impose un respect strict de l’emploi du temps. Ensuite, parce que le climat obstinément serein multiplie le flux des touristes amateurs d’authenticité, la traversée du pont face au Palais en l’Isle finissant par évoquer celle du Rialto en saison. Il faudrait se sentir « l’homme des foules » décrit par Poe pour trouver plaisir à se mêler aux preneurs de selfies ou aux filmeurs de troupeaux retour des alpages. Au moins les salles du festival, si elles étaient achalandées, l’étaient de gens de bonne compagnie.

CINEMA ITALIEN 32e EDITION

Annecy, 8-14 octobre 2014

Peu de dérive cette année dans la vieille ville d’Annecy. D’abord parce que le programme des Rencontres Cinéma italien s’annonçait si intéressant qu’il n’était pas question de faire la séance buissonnière – voir vingt films en quatre jours impose un respect strict de l’emploi du temps. Ensuite, parce que le climat obstinément serein multiplie le flux des touristes amateurs d’authenticité, la traversée du pont face au Palais en l’Isle finissant par évoquer celle du Rialto en saison. Il faudrait se sentir « l’homme des foules » décrit par Poe pour trouver plaisir à se mêler aux preneurs de selfies ou aux filmeurs de troupeaux retour des alpages. Au moins les salles du festival, si elles étaient achalandées, l’étaient de gens de bonne compagnie.

On aime à penser que c’est le travail effectué depuis 1983 par les pères fondateurs des Rencontres d’Annecy, Pierre Todeschini et Jean A. Gili (ce dernier, depuis la disparition du premier, désormais seul délégué général), qui a fini par porter ses fruits. Après des décennies de vaches même plus maigres, mais quasiment étiques, du côté de la distribution en France des films italiens, le frémissement ressenti depuis quelques années semble se confirmer. Certes, les vingt-cinq titres offerts aux spectateurs français en 2013 ne pèsent pas lourd face aux cent cinquante-neuf films états-uniens, mais classent tout de même l’Italie comme le deuxième pays européen représenté ici, pas loin de la Grande-Bretagne (trente-deux films) et bien mieux que l’Allemagne et l’Espagne. Le total estimé pour l’an 2014 étant du même ordre, on peut se réjouir de ce renouveau d’intérêt pour une cinématographie longtemps négligée, au prétexte du souvenir des grands anciens. Réjouissons-nous donc.

Mais la tonalité du discours des cinéastes réunis à Annecy est moins triomphante. On pensait que la gabegie berlusconienne effacée, la situation allait être florissante. En réalité, la crise et les budgets réduits n’ont plus pour cause un contexte national mais sont aujourd’hui identiques d’un pays à l’autre : les auteurs d’un premier film tentent d’y mettre le maximum dans la crainte de ne pas parvenir à en tourner un autre, les auteurs d’un second sont encore ébahis d’y être parvenus. Quant aux réalisateurs confirmés, moins touchés, ils doivent parfois affronter des problèmes de distribution. Et pourtant, malgré cette situation en demi-teinte, aucun des films de ce millésime ne nous a déçu – aussi bien les « jeunes » de la compétition, réservée aux premiers et seconds films, que les cinéastes plus anciens, habitués d’Annecy, venus présenter leur récente production.

Pas plus que leurs confrères français, les primo-cinéastes ne pratiquent la veine comique. Polar saignant (Bolgia totale, Matteo Scifoni), drame familial sur fond mafieux (Il Sud è niente, Fabio Mollo), voyage au bout de la nuit d’un adolescent perdu (Più buio di mezzanotte, Sebastiano Riso), tableau désenchanté des crapuleries des visiteurs médicaux (Il venditore di medicine, Antonio Morabito), description éprouvante d’un « étranger » au monde, entre Camus et Emmanuel Bove (Perfidia, Bonifacio Angius), l’ambiance générale est plus que lourde. Au point qu’un film qui joue la carte de la simplicité, comme Noi 4 (Francesco Bruni), journée d’une famille semi-éclatée, entre mère hyperactive, père aboulique, fille comédienne en rupture et fils collégien passant son brevet, sonne comme un feel-good movie, alors que le fond de réalité sur lequel s’appuie son scénario (remarquablement fabriqué) n’a rien de rassurant. Si le prix du public a été attribué à Noi siamo Francesco (Guendalina Zampagni), c’est parce que le sujet, la découverte de l’amour « normal » par un étudiant né sans bras, est traité de façon positive, presque enjouée – seul film offrant une perspective optimiste.

Nous sommes hélas assuré que, quels que soient l’intérêt et la qualité de chacun, aucun des films sélectionnés n’a de chance d’être vu ici – ceux de l’an dernier ne l’ont pas été, pas plus que ceux de 2012. Et c’est fort dommage, pour un titre comme La mafia uccide solo d’estate (Pierfrancesco Diliberto), Grand Prix 2014. L’auteur-interprète, comique célèbre en Italie sous le nom de Pif, réussit quelque chose de rare, la bonne liaison, au sens culinaire, du drame et de la comédie : des amours palermitaines contrariées, entre enfance et maturité, ponctuées d’attentats et d’exécutions par la Mafia. Alterner sourires (l’enfant éperdu d’admiration pour Andreotti ou allant interviewer Dalla Chiesa) et bains de sang (la mort du même Dalla Chiesa ou du juge Falcone) dans une même inspiration est une performance qui mériterait d’être appréciée par des spectateurs autres qu’annéciens.

Outre la compétition, les Rencontres offraient chaque soir un choix de « films événements », dus à des réalisateurs réputés, au moins là-bas, et qui ont fait leurs premières armes ici - Carlo Mazzacurati, Gianni Amelio, Carlo Verdone, Paolo Virzi, Ivano De Matteo, Mario Martone ou Edoardo Winspeare -, les films de certains d’entre eux étant annoncés d’ici la fin de l’année. Ce ne sera pas le cas pour Mario Verdone (vingt-quatre titres à succès depuis 1980, tous inédits en France), dont Sotto une buona stella vaut pourtant bon nombre de comédies hexagonales sur fond contemporain, avec son histoire d’amour entre un cadre supérieur chômeur, encombré de grands enfants affligés du syndrome de Tanguy, et une réductrice de personnel pour entreprises en difficulté. Comme Pif, Verdone parvient à faire sourire devant des situations à pleurer.

Même force chez Gianni Amelio et son L’intrepido. Est-ce pure création ou son Antonio repose-t-il sur une réalité véritable ? On connaît ici, dans l’enseignement, les « titulaires-remplaçants ». Mais son héros est un individu sans spécialité, sinon celle de remplacer, au pied levé, dans le Milan de la crise, un livreur de pizzas, un conducteur de trolley, un maçon, un vendeur de roses nocturne, n’importe qui, une semaine, un jour, deux heures, dix minutes, selon les besoins. Avec sérénité, par sympathie pour l’humanité, pour se raser le matin en sachant qu’il aura une journée utile. Extraordinaire personnage, interprété par Antonio Albanese, inconnu chez nous (il apparaît dans To Rome with Love de Woody Allen), sorte de Michel Serrault lunaire, déclenchant mezza voce une émotion rare – la scène où il reçoit de son fils une paire de chaussettes en cadeau d’anniversaire est anthologique. Les films d’Amelio ont, par chance, été souvent distribués (Les Clés de la maison, L’Étoile imaginaire, Le Premier Homme) ; on ne peut que souhaiter le même sort à celui-ci.

La sortie d’I nostri ragazzi, d’Ivano De Matteo, prix Sergio Leone 2014, est programmée pour le 10 décembre. Il sera alors temps de revenir sur ce cinéaste attachant, qui depuis son Grand Prix d’Annecy 2009 pour La bella gente, suit un chemin sans heurts, entre Les Équilibristes (2012) et ce dernier film, bien servi par une troupe d’acteurs haut de gamme, Alessandro Gassman, Giovanna Mezzogiorno et Luigi Lo Cascio. Idem pour Paolo Virzi, dont Il capitale umano (Les Opportunistes) nous parviendra le 19 novembre ; sur un sujet proche de celui de De Matteo (la faillite des parents devant des adolescents trop gâtés), Virzi trace un portrait glacé d’une microsociété terrifiante – notons que Valeria Bruni Tedeschi est, comme d’habitude, plus convaincante que dans ses propres films.

Enfin, si l’arrivée d’Il giovane favoloso de Mario Martone n’est pas encore prévue, il convient de surveiller le calendrier. Sa recréation de la vie de Giacomo Leopardi est magnifique et les 137 minutes ne coûtent guère ; tout est admirable, de l’enfance dans le palais de Recanati à la fin précoce, Elio Germano se glissant parfaitement dans le pauvre corps tordu du « sombre amant de la Mort ». Monaldo le père tyrannique, la « Mamma Cattiva » bornée, le milieu littéraire étriqué, la dechéance physique du poète, tout est là, et plus encore. Belle occasion de se replonger dans le Zibaldone et les autres titres accessibles des éditions Allia. À quand un film français sur Nerval ?

Lucien Logette