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Les logogrammes de Dotremont

À Beaubourg, au Cabinet d’art graphique, une exposition de Christian Dotremont Logogrammes qu’il faut aller voir et regarder de près. Elle requiert trois vues.

EXPOSITION
CHRISTIAN DOTREMONT
LOGOGRAMMES
Centre Pompidou, Cabinet d’art graphique
15 octobre 2011 – 2 janvier 2012
Un catalogue collectif, 110 p., 24,50 €

À Beaubourg, au Cabinet d’art graphique, une exposition de Christian Dotremont Logogrammes qu’il faut aller voir et regarder de près. Elle requiert trois vues.

Cette exposition n’aurait pu se faire sur le seul fonds du musée, détenteur jusqu’ici de seulement deux Logogrammes (acquis en 1975). Or, voici que grâce à un don de Micky et Pierre Alechinsky, l’ami et le « complice » artistique de son compatriote, 13 Logogrammes sont entrés dans les collections du Centre Pompidou. Ils sont à la base de la présentation du Cabinet d’art graphique et de l’ouvrage qui l’accompagne. Ces carnets de dessins, sobres, élégants, suscitent toujours l’intérêt : Baselitz, Barcelo, Louise Bourgeois, Fred Deux, Alechinsky… y ont pris place.

Alfred Pacquement, directeur du musée national d’Art moderne, suggère une explication de cette longue indifférence du musée aux Logogrammes de Dotremont. On pourra dire que c’est une œuvre difficile, dans son projet et dans sa lecture. Surtout, qu’elle brave la distinction académique entre la littérature et les arts plastiques. 

Christian Dotremont (1922-1979) est un « écrivain-artiste ». Ce composé, à défaut de trouver un mot-valise (si ce n’est le logogramme même) pour définir l’auteur de signes plastiques et de dizaines de textes littéraires. On lira un « roman », La Pierre et l’Oreiller (Gallimard 1955, réédité en 1980) dont le ton est donné dès la couverture : « Il a trente ans, il est au Danemark, un drôle de pays perdu, où oui c’est non. Il est amoureux d’Ulla, il vit dans un hôtel saugrenu. »

Du poète, les Œuvres poétiques complètes ont été publiées en 1998 au Mercure de France, préfacées par Yves Bonnefoy.

Dans l’intervalle, en 1975, Logbook (Yves Rivière éd.), dont il a été rendu compte ici même. L’attention à cet ouvrage n’a pas toujours été égale aux souhaits de Dotremont. Quelle capacité de rejet recelait le logogramme ? Alechinsky écrit : « Il pouvait parler des logogrammes d’une façon très simple : “j’exagère l’écriture”. » Cette profession de foi artistique, Alechinsky la retrouve par hasard dans une note de Delacroix où est esquissée La Lutte de Jacob avec l’ange : « l’art, c’est l’exagération à propos » (Dotremont. J’écris pour voir, textes et photographies de Pierre Alechinsky, Buchet/Chastel, 2004).

Pour les familiers des logogrammes, rien ne serait à ajouter. Sauf à rappeler qu’ils sont tout à fait autres que les signes alignés de Michaux, et que leur seule accointance – en dépit des apparences – est avec Magritte. Dotremont, c’est tout autre chose. Alechinsky toujours : « Dotremont, maître des mots, dessine au pinceau ce qu’il pense, voit et pourrait déclamer. Le poème remue, devient peinture. Une peinture d’un tout autre entendement et qui tient bougrement le mur. »

Les logogrammes disposés au Cabinet d’art graphique tiennent bien le mur où ils sollicitent un changement d’entendement requérant bien trois vues. De loin, des signes noirs d’une écriture usant du plein et du délié, en jets, en poussées, en échappées. Écriture d’une fable dont nous apprenons la lettre dans sa transcription au crayon, toute petite au bas de la feuille. Ce que nous voyons c’est bien l’exagération de l’écriture. Nous sommes loin de la calligraphie, la sinographie qu’abhorrait Dotremont. Tout ici se joue sur 26 lettres qui composent une écriture nouvelle. Notre dernier regard est retenu par ce paysage nous invitant à un va-et-vient visuel et mental : un logogramme.

Georges Raillard