La publication de ce corpus a commencé en 2009 avec un texte sur Karel Appel. Un geste de couleur. Ont suivi Sam Francis. Leçon de ténèbres, Les Transformateurs Duchamp, des Textes dispersés I : esthétique et théorie de l’art. Ce second volume de textes dispersés sur les artistes contemporains vient de paraître. Suivront Que peindre ? (Adami, Arakawa, Buren) et, sur Monory, L’Assassinat de l’expérience de la peinture.
Les artistes contemporains qui ont sollicité la pensée de Lyotard, sa plume aiguë ou sa voix (dans des vidéos d’entretiens) sont divers et pas tous célèbres. Tous les choix ne paraissent pas s’imposer. Tels artistes ne retiennent plus guère notre attention. Mais Lyotard, les accaparant, les vivifie. Nous retenons le rapport à l’investissement du « figural », qui est au centre moteur de sa pensée depuis Discours, Figure (1971). Ou ce qu’ils doivent à l’inversion fondatrice de Freud selon Cézanne (1971), repris dans Des dispositifs pulsionnels. (Ces textes sont absents de ce volume.) En introduction à ces Écrits, Hermann Parret souligne le passage dans l’itinéraire de Lyotard d’une esthétique libidinale à une esthétique du sublime.
On ne se hasardera pas à un relevé d’étapes marquées par tel artiste, telle œuvre. Et parmi la trentaine d’œuvres analysées, on peut s’arrêter à l’ouverture spécifique que ménagent certaines d’entre elles dans la pensée de Lyotard. Une pensée élaborée à partir de l’art. Une pensée transformée par les objets qu’elle a rencontrés.
Ainsi, à notre tour, notre regard renouvelle ses champs. Par exemple, à suivre Les Filles folles de Richard Lindner (de 1973) et L’Instant Newman : « Ce que Lindner peint ou grave, ce sont les machines serviables (…). Les filles sont improductives, au sens de la génération, comme les prostituées. Mais comme elles, elles sont productives au sens de l’argent. (…) Elles sont comme les machines, comme les banques, des calculatrices folles emballées sur la croissance du profit, non seulement prêtes à vendre le service demandé, mais décidées à provoquer la demande de service, à capter les flots de l’énergie libidinale. »
Cependant, en 1984 à propos de Barnett Newman, à la question classique des avant-gardes sur le temps, Newman répond : « Le temps c’est le tableau lui-même. » Lyotard commente : « Un tableau de Newman, c’est un ange. Il n’annonce rien, il est l’annonce elle-même (…). Newman ne représente pas une annonciation imprésentable, il la laisse se présenter. »
L’imprésentable, le terme est dans le titre d’une vidéo où Lyotard dialogue avec René Guiffrey, peintre du blanc.
Dans l’un de ses trois ou quatre textes sur Guiffrey, Lyotard écrivait : « Si le langage intelligent manque quelque chose dans la peinture, ce sont les couleurs bien plus encore que les formes. Et si la couleur est du blanc, n’est que du blanc, que reste-t-il à en dire une fois qu’on l’a nommée ? »
Reste, dans des analyses tendues de la pratique de Guiffrey, une réflexion sur « la problématique du sublime, c’est-à-dire présenter quelque chose qui ne peut pas l’être, ou plutôt présenter qu’il y a quelque chose qui ne peut pas être présenté ».
Les derniers textes écrits par Lyotard, en 1997, sont rédigés à la main sur les fonds d’un peintre, Béatrice Casadesus (exposée au musée de Port-Royal des Champs à partir du 17 septembre).
« Livre unique », tel est le titre de ces ouvrages dus à la réponse de quelques écrivains aux formes et aux couleurs que le peintre a déployées sous leur regard.
Le « Livre unique » de Casadesus et Lyotard est reproduit in extenso et en fac-similé dans le présent volume. On lit sur l’une des pages :
« La matière pour
l’œuvre touche à
l’immatériel
Le moment arrive
et c’est trop tard
L’espace s’exaspère
calmement en
torsions. »
Georges Raillard
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