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Mimmo Jodice

 Le Louvre accueille le grand photographe italien Mimmo Jodice (né en 1934 à Naples), après l’exposition rétrospective à la Maison européenne de la photographie en 2010. Un défi nouveau : établir un dialogue entre le photographe et le Louvre. La réponse est forte et surprenante.
Mimmo Jodice
Mimmo Jodice. Les yeux du Louvre (Musée du Louvre)
Mimmo Jodice
Mimmo Jodice. Les yeux du Louvre. Catalogue (Musée du Louvre Actes Sud)
 Le Louvre accueille le grand photographe italien Mimmo Jodice (né en 1934 à Naples), après l’exposition rétrospective à la Maison européenne de la photographie en 2010. Un défi nouveau : établir un dialogue entre le photographe et le Louvre. La réponse est forte et surprenante.

La présence de Mimmo Jodice au Louvre s’inscrit chronologiquement dans une série d’expositions commandées par le musée du Louvre à des artistes contemporains, fondées sur une confrontation entre peinture et photographie autour du genre du portrait et du thème de la figure humaine : de La Scopohilia de Nan Goldin, aux Habitants du Louvre de Christian Boltanski et Jacques Roubaud. L’exposition actuelle de Mimmo Jodice apporte une vision nouvelle « mystérieuse et spectaculaire » (Henri Loyrette). Elle présente plus de cinquante portraits, en noir et blanc, des personnages de peintures fameuses du Musée : le Monsieur Bertin d’Ingres, la petite fille de La Cruche cassée de Greuze, La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci, le portrait de Baldassare Castiglione, par Raphaël, le compositeur Cherubini par Ingres... Entre ces portraits tirés de peintures célèbres sont interposés des portraits purement photographiques de personnages vivants, faisant partie du Louvre d’aujourd’hui : le président-directeur général du Musée, Henri Loyrette ; Barbara Giboux, agent d’accueil et de surveillance ; Martin Kiefer, coordinateur d’expositions ; Marie-Laure de Bernadac, conservateur ; Noël Corbin, directeur du service financier et juridique… Ainsi, Mimmo Jodice confond toutes les différences établies par les codes usuels : à travers des siècles, les auteurs et les médiums différents – photographie et peinture – montrant des portraits qui sont le trait d’union entre les morts et les vivants, les êtres immortalisés sur la toile et les êtres en chair. La hiérarchie sociale est abolie pour laisser place à une présence, humaine par excellence. Et le dialogue est établi. « Mon projet est de mélanger la réalité d’aujourd’hui avec celle des siècles passés et de montrer dans les visages d’hier et d’aujourd’hui les mêmes sentiments, comme la passion, l’anxiété, la noblesse, l’arrogance, la stupeur, l’ironie », confie le photographe. Tous les portraits de l’exposition nous fixent, de face ou de trois quarts, à la manière des portraits d’identité ou d’anthropométrie. Le visiteur est saisi par l’intensité des regards captés moyennant un recadrage et une composition volontairement neutre et harmonieuse des portraits peints, abolissant toute différence stylistique et temporelle, pour ne mettre en évidence que les yeux, alignés sur la même horizontale. En grec ancien la racine « ops » est à la base des mots « visage » et « œil ». Alors que le regard suppose exprimer « l’âme », l’œil renvoie à la simple réalité anatomique. La vie de cet ensemble de portraits imposants, nettement plus grands que nature (d’environ un mètre de haut), autonomes et juxtaposés, tient au contraste entre la linéarité des regards et le recadrage des photographies harmoniquement décalées, pour souligner doublement le regard. Le fond gris foncé du support met en relief les portraits qui bénéficient d’une lumière spécifique et égale, obtenue par un dispositif de miroirs et de lumières artificielles produisant un éclat surnaturel. Le résultat est étonnamment émouvant. Les deux aspects de ce projet de Mimmo Jodice : le dialogue et la recherche s’inscrivent dans la continuité de sa démarche photographique déjà engagée dans des travaux précédents. La galerie Il Diaframma à Milan a présenté en 1974 une confrontation des clichés du photographe à des cartes postales dans l’exposition intitulée « Fotografie dal Giappone ». En 1978 le Studio Trisorio à Naples dans l’exposition « L’identificazione » a donné à voir des images issues d’une nette influence artistique, de Brandt à Kertész, réinscrites dans une nouvelle perspective artistique. En 2008, le musée Capodimonte à Naples dans l’exposition « Transiti » a montré des « similitudes » entre certains de ses anciens clichés et la collection de peinture baroque du même musée, autour du thème de la Passion. L’installation « Anamnesi », dans le métro de Naples en 2005, présentait déjà une confrontation de têtes peintes et sculptées tout au long du mur, alignées exclusivement par la ligne du regard. Les yeux du monde de Mimmo Jodice sont omniprésents. Ils nous donnent à voir à travers des thèmes sociaux la beauté et la misère des populations : la violence, l’illusion, l’humiliation de l’homme, un kaléidoscope d’images de villes, avec leur architecture aux murs aveugles, des portes barrées, des fenêtres impénétrables dans une immobilité métaphysique, avec un arrêt particulier sur Naples, sa ville natale. « Dans cette ville haïe et aimée à l’excès, j’ai mûri mes expériences d’homme et de photographe. J’y ai construit avec rage et passion, photogramme sur photogramme, mes archives de déceptions, d’espoir et de fantaisie. » Dans la série « l’Eden », Jodice, avec son regard intrusif d’un navigateur de l’inconnu, entre dans le décor obscur de la consommation avec sa prolifération des objets banals et ordinaires qui nous menacent et nous envahissent. Et enfin, dans « Isolario mediterraneo » où la Méditerranée, son lieu de prédilection, qu’il capte et qui le capte, en le conduisant comme Ulysse dans une dimension de l’indéfini. Ces photos maritimes restent hors du temps : elles nous offrent l’éternité. « L’île conserve sa mémoire bien plus que la mémoire. Elle transforme des souvenirs en héritage » (Predrag Matvejevich). Cette pérégrination entre la mer et les rochers, dans laquelle Mimmo Jodice s’est lancé avec la conviction d’explorer le réel, l’a conduit à rencontrer son paysage intérieur. « Il m’arrive que l’objectif de la caméra, qui devrait regarder dehors, observer le monde réel, finisse au contraire par regarder dedans. Il s’agit d’une métaphore pour décrire mon rapport à la photographie et au monde. » ❘

Georges Raillard