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Article publié dans le n°1224 (01 mars 2020) de Quinzaines

Pourquoi les actrices noires sont-elles absentes de la plupart des films français ? Telle est la question que s’est posé Lucie André pendant ses études cinématographiques et qu’elle a essayé d’expliquer au terme d’une enquête passionnante, aujourd’hui publiée chez L’Harmattan.
Lucie André
Etre actrice noire en France
Pourquoi les actrices noires sont-elles absentes de la plupart des films français ? Telle est la question que s’est posé Lucie André pendant ses études cinématographiques et qu’elle a essayé d’expliquer au terme d’une enquête passionnante, aujourd’hui publiée chez L’Harmattan.

Un film avec des acteurs noirs s’adresse-t-il uniquement à un public noir ? Voilà bien ce que semble croire l’industrie du cinéma en France. Car dans ce milieu, nous dit Lucie André, on est convaincu que la présence d’acteurs noirs dans un film est nécessairement porteuse d’un message en rapport avec la couleur de peau. Autrement dit, la norme est blanche et un film « normal » ne saurait être incarné par des personnages noirs.

Mais « un peuple qui n’a pas d’image n’existe pas », explique Christian Lara, réalisateur et producteur guadeloupéen[1] : « Le cinéma est indispensable pour qu’un peuple existe »

Le sort réservé aux actrices noires à l’écran est particulièrement révélateur. Les rôles qui leur sont assignés résultent de la nécessité explicite de faire intervenir un personnage de couleur noire. À y regarder de plus près, on observe en outre que les principaux rôles joués par ces femmes noires sont périphériques : « compagne de », « mère de », infirmière, coiffeuse-manucure, policière, nourrice, prostituée, « meilleure copine de », « l’Africaine » ou « l’Antillaise »...

De fait, les actrices noires se comptent sur les doigts d’une main dans le cinéma français, les plus célèbres étant Sabine Pakora, Firmine Richard et Aissa Maïga. 

Sabine Pakora est née en 1982 à Abidjan. Elevée par un père aisé, elle arrive en France à l’âge de 4 ans. Après des études d’art dramatique au conservatoire de Montpellier, où elle est favorablement remarquée par ses professeurs, sa carrière ne commence pas aussi bien que prévu. Les occasions ne sont pas assez nombreuses pour qu’elle puisse se permettre de choisir. Elle comprend assez vite que la couleur de sa peau la détermine socialement : elle se retrouve cantonnée à des rôles précis, rôles stéréoptypés, « même pas des seconds rôles » - la coiffeuse, la manucure, la nourrice, la prostituée, la « meilleure copine de », la policière, la « mère de », la jeune de cité, la « compagne de ». Son rôle le plus joué est celui de coiffeuse/manucure (Le Passage du désir en 2012, Des Étoiles en 2013, Samba en 2015, La Fille du patron en 2016). Bien que sa vocation d’artiste ne soit pas en cause, elle est mal à l’aise dans l’exercice de son art. Elle décrit son embarras à incarner des personnages dont certaines répliques sont choquantes, voire humiliantes à ses yeux. Par exemple lorsque les réalisateurs lui demandent (c’est presque toujours le cas) de jouer avec un accent africain – qui n’est pas le sien... 

Firmine Richard est née à Pointe-à-Pitre en 1947. Elle est repérée dans un restaurant parisien par la réalisatrice Coline Serreau qui lui propose de jouer dans Romuald et Juliette (1989) aux côtés de Daniel Auteuil. Ce rôle principal (celui de Juliette, femme de ménage dans une grande entreprise dont le dirigeant, Romuald, tombe amoureux) est donc la première apparition à l’écran de la guadeloupéenne que rien ne prédestinait à devenir actrice - elle était alors employée d’un bureau de poste. Pourtant, ce sera l’unique fois qu’elle incarnera un personnage principal à l’écran. Le reste de sa carrière se poursuivra autour de protagonistes sinon toujours stéréotypés du moins toujours secondaires, avec notamment plusieurs rôles d’infirmière, sage-femme ou aide-soignante (Pédale dure en 2004, Un Heureux Evénement en 2011). 

Aissa Maïga est née à Dakar en 1975, elle arrive en France à l’âge de 4 ans, élevée par un père journaliste originaire du Mali. Après l’assassinat de ce dernier à Ouagadougou, elle est accueillie par son oncle et sa tante à Paris. Aissa Maïga fait figure d’exception dans le cinéma français : « Mon parcours est bien celui d’une constante miraculée. Cette position est inconfortable. Qui pourrait se réjouir du rejet de ses semblables ? Qui aimerait avoir la sensation curieuse d’être l’un des alibis d’une société qui cherche à se rassurer en laissant une place dérisoire à l’altérité ? ». Et en effet, elle est aujourd’hui la seule actrice noire qui peut se permettre de refuser les rôles réducteurs. Sa carrière se déploie surtout dans des comédies et des films d’auteurs (Bamako en 2006, L’un reste, l’autre part de Claude Berri en 2005, L’Écume des jours en 2013). Les rôles stéréotypés n’en sont pas totalement absents néanmoins. Ils lui permettent d’exister en dehors des rôles choisis, avec une occurrence forte de ceux où elle incarne la « compagne de » ou la « petite copine de » - qu’elle appelle ses « rôles de blondes », c’est-à-dire, selon elle, de femmes qui pourraient ne pas être des Noires, tout en restant périphériques. Dans L’un reste, l’autre part elle joue la maîtresse, finalement délaissée, de Pierre Arditi. 

Que leur présence à l’écran résulte presque toujours d’une vision réductrice, ces trois actrices ne peuvent que le subir. Il est remarquable en effet qu’en dépit des discriminations répétées, aucune n’envisage de renoncer à exercer le métier d’actrice. Laissons donc à Aissa Maïga le mot de conclusion : « Qu’on nous donne des rôles ! J’ai fait toute ma scolarité ici, j’ai appris les grands auteurs français, et aujourd’hui on ne me laisse pas la possibilité de réciter leur langue ! »

Apostille : le titre de cet article reprend celui d’un manifeste publié par seize actrices noires pour dénoncer les violences racistes et sexistes dans l’industrie du cinéma (Seuil, 2018).

[1] Régis Dubois, Les Noirs dans le cinéma français, Images et imaginaires d’aujourd’hui, The Book Edition, 2012.

Patricia De Pas

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