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Sans cesse, Joan Miró (1893-1983) invente des formes imprévues. Il renouvelle au XXe siècle autant la sculpture que la peinture. Ici, au musée Maillol, se dressent les grandes et les petites sculptures de Miró et ses céramiques (1).

EXPOSITION
MIRÓ SCULPTEUR
Fondation Dina Vierny – Musée Maillol
61, rue de Grenelle, 75007 Paris
16 mars – 31 juillet 2011


MIRÓ SCULPTEUR
Catalogue
Gallimard/Musée Maillol, 208 p., plus de 140 ill.
coul., 35 €

Sans cesse, Joan Miró (1893-1983) invente des formes imprévues. Il renouvelle au XXe siècle autant la sculpture que la peinture. Ici, au musée Maillol, se dressent les grandes et les petites sculptures de Miró et ses céramiques (1).

Miró imagine des personnages inattendus, des hommes, des femmes, des oiseaux, des chiens, des têtes graves, un arc monumental et ironique, des portes, les couples, un équilibriste… Telles œuvres s’intitulent le Monument dressé en plein océan à la gloire du vent, ou bien Les trois cheveux magnétiques de la belle blonde attirent les papillons, ou encore L’Horloge du vent

« Je considère (dit Miró en 1959) mon atelier comme un potager… Je travaille comme un jardinier ou comme un vigneron. Les choses viennent lentement. Mon vocabulaire de formes, par exemple, je ne l’ai pas découvert d’un coup. Il s’est formé presque malgré moi. Les choses suivent leur cours naturel. Elles poussent, elles mûrissent. Il faut greffer. Il faut irriguer, comme pour la salade. Ça mûrit dans mon esprit. Aussi je travaille toujours à énormément de choses à la fois. Et même dans des domaines différents : peinture, gravure, lithographie, sculpture, céramique. » Avec patience, précision, avec modestie, avec retenue, Miró innove et surprend (2).

En 1975, dans ses entretiens avec Georges Raillard (3), Miró invente en refusant toute virtuosité. Il préfère la violence et la révolte : « Je suis très content (dit-il) du manque de virtuosité, il m’a poussé à avoir de la révolte pour m’exprimer. La facilité aurait peut-être amoindri cette violence. »

Grâce à l’énergie de Miró, grâce à son courage, grâce à sa colère contrôlée, ses œuvres nous réjouissent, elles épanouissent le cœur. Et, pourtant, l’artiste n’est pas souvent joyeux. Il affirme (en 1959) : « je suis d’un naturel tragique et taciturne. Dans ma jeunesse, j’ai connu des périodes de profonde tristesse. Maintenant, je suis assez équilibré, mais tout me dégoûte : la vie ma paraît absurde ». Et l’humour des œuvres serait, selon lui, une résistance face au tragique. L’humour serait une force. Créer, c’est alors jouer. Il cherche à « ouvrir les portes libératrices du merveilleux » ; selon lui, il tente de « faire exploser dans nos rêves futurs l’atome de la joie ».
Déjà, dans les années 1930, il réalise des Constructions, des Sculptures-objets, des Peintures-objets. La troisième dimension le fascine souvent. C’est à partir de 1944 qu’il multipliera de nombreux assemblages, sculptures… Dans ces Notes (1940-1941), il remarque : « Penser à l’idée de sculpture, que ces formes tournent et puissent être palpées. » Dans ses Notes de travail (1941-1942), il souhaite alors préférer la sculpture à la peinture : « C’est dans la sculpture que je créerai un monde véritablement fantasmagorique, de monstres vivants ; ce que je fais en peinture est plus conventionnel. » Alors, il lutte contre toute convention, contre tout conformisme. Sa création serait du côté du bouleversement, de la perturbation. Elle serait aussi proche des rochers, des arbres, du vent : « Ainsi j’établirai un lien avec le reste de ma production et avec les objets réels de la nature, arbres, racines, cela sera uni à eux, et au ciel, à l’atmosphère, aux montagnes, etc. »

Dans le musée Maillol, Miró produit des assemblages sculptés, des collages en trois dimensions. Il collectionne, depuis des dizaines d’années, une chaise d’enfant, des embauchoirs à chaussures, une grande cuiller, des tabourets, des chaises, des boîtes en carton ondulé, des robinets, des outils, des vieilles plaques, un œuf, des vis, des clous, un râteau, une petite charrette, des roues, des bidons, des pots renversés, un jouet démantibulé, des gros fils métalliques courbés, une poupée, une boîte de conserve. Il ajuste ces choses hétéroclites. Il les moule. Il les transforme en bronze. Tantôt il choisit des patines subtiles. Tantôt il peint le bronze en couleurs violentes ; par exemple, Jeune fille s’évadant (1968).

Dans les sculptures de Miró, tu perçois les traces des pieds nus, les chaussures. « Le pied (dit-il en 1962) m’a toujours violemment intéressé, sa forme, sa fonction. N’est-ce pas par lui que l’homme établit le contact avec la terre ? » Il demeure toujours un paysan catalan. Il se dresse sur le sol. Il laboure et il regarde aussi le soleil, la lune, les constellations. « Quand j’habite à la campagne, la sculpture (dit-il en 1951) m’intéresse. Il pleut, la terre est mouillée. Je ramasse un peu de boue… Ça devient une petite statuette. C’est un caillou qui me dicte une forme. »

En permanence, Joan Miró tisse des désirs opposés, des sensations contradictoires : « La même démarche me fait chercher le bruit caché dans le silence, le mouvement dans l’immobilité, la vie dans l’inanimé, l’infini dans le fini, des formes dans le vide et moi-même dans l’anonymat. » Car chacun de nous se trouve dans l’inconnu, dans le voilé.

  1. Lire dans le beau livre-catalogue du musée Maillol les textes d’Olivier Kaeppelin, d’Agnès de Beaumelle, d’Isabelle Maeght.
  2. Cf. Joan Miró, Écrits et entretiens, Daniel Lelong éditeur, 1995, 350 p.
  3. Miró, Ceci est la couleur de mes rêves (entretiens avec Georges Raillard), Seuil, 1977, p. 191.
Gilbert Lascault