A lire aussi

Cadeaux utiles

Article publié dans le n°1029 (01 janv. 2011) de Quinzaines

 Blake Edwards, Jacques Le Glou, Jean Rollin : en quelques jours, la rubrique nécrologique, côté cinéma, s’est alourdie de plusieurs unités non négligeables. Tout a déjà été dit, ou le sera, sur le premier, même si l’on insiste beaucoup sur une Panthère rose dont les aventures, trente ans durant, n’ont pas brillé d’un semblable éclat – mais The Party est un chef-d’œuvre et Les Jours du vin et des roses un des rares films crédibles sur la dépendance à l’alcool. On doit au second, homme de l’ombre, situationniste lanceur de pavés devenu vice-président d’Unifrance, l’érection pirate (et fugace) en mars 69 de la statue de Charles Fourier sur son socle vide de la place Clichy et l’édition complète en coffret des films de son ancien complice Debord. Quant au troisième, il a tissé une des filmographies les plus cohérentes du cinéma français, tout entière consacrée à la célébration des vampires ; il ne fut pas seulement l’auteur de « nanars » de haute graisse, mais un spécialiste éclairé de Gaston Leroux et un amateur de tout ce qui a importé dans le second rayon – et l’œuvre et le personnage méritent l’arrêt sur image que nous nous proposons de faire le moment venu.
Vincent Pinel
Philippe Pilard
Histoire du cinéma britannique (Nouveau Monde éditions)
 Blake Edwards, Jacques Le Glou, Jean Rollin : en quelques jours, la rubrique nécrologique, côté cinéma, s’est alourdie de plusieurs unités non négligeables. Tout a déjà été dit, ou le sera, sur le premier, même si l’on insiste beaucoup sur une Panthère rose dont les aventures, trente ans durant, n’ont pas brillé d’un semblable éclat – mais The Party est un chef-d’œuvre et Les Jours du vin et des roses un des rares films crédibles sur la dépendance à l’alcool. On doit au second, homme de l’ombre, situationniste lanceur de pavés devenu vice-président d’Unifrance, l’érection pirate (et fugace) en mars 69 de la statue de Charles Fourier sur son socle vide de la place Clichy et l’édition complète en coffret des films de son ancien complice Debord. Quant au troisième, il a tissé une des filmographies les plus cohérentes du cinéma français, tout entière consacrée à la célébration des vampires ; il ne fut pas seulement l’auteur de « nanars » de haute graisse, mais un spécialiste éclairé de Gaston Leroux et un amateur de tout ce qui a importé dans le second rayon – et l’œuvre et le personnage méritent l’arrêt sur image que nous nous proposons de faire le moment venu.

Mais place aux choses sérieuses. La saison voudrait que l’on ne s’intéressât qu’aux beaux livres, ces in-quarto luxueux qui envahissent les étals, avec de magnifiques photos pleine page. Nous n’avons rien contre les albums, sinon qu’ils tiennent beaucoup de place, qu’une fois parcourus et admirés, ils ne sont plus guère feuilletés, et que, quitte à surcharger des rayons déjà encombrés, mieux vaut des ouvrages dont on sait qu’on y aura fréquemment recours. Les usuels, par exemple. En prenant garde toutefois : tout ce qui s’annonce comme dictionnaire n’est pas forcément un usuel ; ce ne sont parfois que des aide-mémoire, comme le Dictionnaire des Films (Jean-Claude Lamy (dir.), coll. « In extenso », Larousse, 2010, 1 500 p., 26 €), bien pratique pour vérifier une date ou une durée, et guère plus (mais dont l’utilité pour un public non spécialiste justifie ses mises à jour régulières), ou de plaisantes calembredaines, comme le Dictionnaire amoureux du cinéma (Jean Tulard, Plon, 2009), qui permet surtout d’ajouter une nouvelle fiche à celles relevant les approximations des multiples titres signés par ce polygraphe tous azimuts (et de l’Institut). En ne prenant en compte que les érudits certifiés, il y a déjà de quoi lire suffisamment.

Nous révoquions à l’instant les albums ; avouons cependant le plaisir pris à regarder ceux que les éditions de la Martinière confient aux soins de Patrick Brion, irréprochables et documentés sur le film noir ou la comédie musicale, parfaits cadeaux pour de vieux oncles amateurs du cinéma de la Belle Époque. Et, évidemment, le somptueux Siècle du cinéma (Larousse), que Vincent Pinel réajuste régulièrement (dernière édition en 2009), et qui allie les deux qualités essentielles requises et si rarement mises en œuvre, celle de l’iconographie et celle de l’information. Impossible, même pour les chercheurs de petites bêtes les plus pervers, de mettre en défaut les connaissances affichées dans ce Siècle, auquel le seul reproche que l’on puisse faire est de ne pas être vendu avec le lutrin nécessaire au confort de sa lecture. Des quelques kilos de renseignements que le livre contient, Vincent Pinel a eu la bonne idée d’extraire tout ce qui concernait le cinéma muet, présenté sous un format enfin maniable, sans céder en rien sur la beauté des photos et leur rareté (on appréciera ainsi un aspect inconnu de Theda Bara, p. 127, le regard de Buster Keaton, p. 212, et l’éclat soyeux des jambes de la tant méconnue Lien Deyers, p. 239). La période étant depuis longtemps balisée et le territoire exploré, on ne trouvera pas dans ces pages de révélations. Même s’il subsiste de grands pans à éclaicir, en fonction des copies retrouvées, comme les festivals de Bologne et de Pordenone le prouvent chaque année, ces découvertes ne concernent que le tout petit monde des fervents, et pas le public simplement à la recherche d’un savoir honnête. Public que ce Cinéma muet comblera, puisqu’il offre l’essentiel et au-delà, depuis les précurseurs incontournables, Plateau, Marey, Reynaud et autres, jusqu’aux ultimes survivances au cœur des années 30, dans des pays, Chine ou Japon, non encore touchés par la technique du parlant. L’essentiel de la production mondiale entre 1895 et 1929 est là, alternant, de façon remarquablement claire, présentation synthétique et analytique – l’auteur, ayant tout vu de ce qu’il répertorie, ne se contente pas d’aligner des titres, mais les commente, sans forcément respecter les réputations établies, Gance ou L’Herbier, ni reprendre les jugements retransmis d’un historien à l’autre. Le tout se lisant comme un roman. Le corpus muet étant garanti achevé, cette édition est sans doute définitive, et le livre, pas mal corné par deux mois d’usage, a déjà rejoint notre étagère des indispensables.

Ne serait-ce que pour prouver l’indigence de l’affirmation jadis émise par Truffaut (et reprise par Godard dans une de ses Histoire(s) du cinéma) prétendant, en gros, que « cinéma » et « anglais » étaient des termes impossible à apparier, Philippe Pilard creuse depuis plusieurs décennies des sillons à travers le champ du cinéma britannique – Stephen Frears, Ken Loach, John Boorman, James Ivory, dont il a réalisé, par le texte et par l’image, des approches remarquables. L’édition précédente de son Histoire du cinéma britannique date de 1998, et ce sont quelques dizaines de pages qu’il lui a fallu ajouter pour faire un nouvel état des lieux, avec la même précision pédagogique, chaque période décrite étant toujours complétée par la liste des films importants qu’elle a vu éclore. Énumération passionnante, qui va de Woman to Woman (Graham Cutts, 1922, premier scénario d’Hitchcock) à Faites le mur (Banksy, 2010), en passant par les grands titres des Ealing Comedies, les classiques de David Lean, le Free Cinema et la suite, et qui montre à l’envi combien le persiflage de Truffaut était indigne – encore l’auteur n’inclut-il pas les téléfilms, comme la superbe trilogie Red Riding 1974, 1980, 1983, adaptée de David Pearce, sortie sur nos écrans en novembre 2009, et qui remet nos polars hexagonaux à leur petite place. Sans se contenter des phares, Pilard éclaire judicieusement des cinéastes moins célèbres, tel l’oublié Bill Douglas (à quand l’édition en DVD de ses chefs-d’œuvre, My Childhood ou Comrades ?) ou l’historien Kevin Brownlow, dont le Winstanley, pas vu depuis 1975, figure toujours parmi nos films pairs. Certes, tout n’est pas dit dans ces 335 pages, et tel n’était pas le propos. Comme la littérature, le cinéma anglais fourmille de personnages curieux, et on rêve de monographies sur des inclassables comme Richard Massingham, John Krish, Robert Hamer ou Roy Ward Baker. En attendant, cette Histoire vient clore utilement (et on souhaite provisoirement) un rayon britannique peu fourni en textes généraux – une dizaine depuis 1963, le dernier, Typically British, remontant à 2000.

On apprend d’autre part la parution, aux éditions de l’Œil, de L’EnCinéClopédie, en deux volumes, étude de 316 réalisateurs français, 1 600 pages signées Paul Vecchiali. Sachant que la chose est sur le chantier depuis tant d’années que l’on n’ose plus les compter, que le cinéaste est un des connaisseurs les plus affûtés du sujet, qu’il n’a pas sa plume dans sa poche, on se réjouit d’avance – pourvu que le père Noël ne se perde pas en route…

P.-S. Une écriture hâtive, une maîtrise hasardeuse du copié-collé et une dyslexie mal surveillée, et voilà notre dernière chronique qui fait mal à l’âme à la relecture, entre répétition oiseuse (cette « femme-enfant sauvageonne » qui ressurgit à quelques lignes d’intervalle) et coquille qui vous met le rouge au front (ah, cet « aéropage » tant moqué dans la bouche des présentateurs). Que les lecteurs pointilleux nous pardonnent, nous tâcherons de ne pas retomber.

Lucien Logette