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Des artistes venus d'ailleurs

Adami, Zao Wou-ki. La photographie du premier ouvre la suite de portraits que nous propose Martine Franck, celle du second la clôt. L’ordre alphabétique. À nous de joindre à ces images séduisantes et troublantes des œuvres qui habitent, ou non, notre souvenir, notre dilection. Des portraits de créateurs.

MARTINE FRANCK
VENUS D’AILLEURS
Peintres et sculpteurs à Paris depuis 1945
Texte de Germain Viatte
Imprimerie nationale éd., 156 p., 62 photographies en
bichromie, 45 €


Exposition à la Maison européenne de la photographie
5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris
5 octobre 2011 – 8 janvier 2012

Adami, Zao Wou-ki. La photographie du premier ouvre la suite de portraits que nous propose Martine Franck, celle du second la clôt. L’ordre alphabétique. À nous de joindre à ces images séduisantes et troublantes des œuvres qui habitent, ou non, notre souvenir, notre dilection. Des portraits de créateurs.

Leur œuvre de créateurs n’est pas leur seul point de rencontre. Ce livre a un double fondement : le choix des artistes fait par la photographe et le fait que tous, nés à l’étranger, se sont installés à Paris à partir de 1945.

Des « venus d’ailleurs », ces artistes devenus parisiens : « et ce, par la magie d’une attirance irrépressible, le plus souvent née d’une impulsion presque inconsciente, parfois selon le hasard de multiples détours, autant d’esquives ou d’approches suspendues ». C’est là l’ouverture du texte, riche de faits, de Germain Viatte, qui précède la galerie des portraits de peintres et de sculpteurs offerte à notre regard. Chaque créateur seul, dans sa solitude et l’ombre de sa création.

Notre regard est amené à suivre celui de la photographe. Elle l’a défini elle-même. Sa méthode est fondée sur des rencontres, toujours nouvelles : « Au départ, il s’agit d’une conversation. Il se peut aussi, parfois, que l’on reste des heures, des journées, à observer, sans dire un mot, sans déranger. (Martine Franck souligne le mot.) Ce que je cherche à capter c’est la lumière dans l’œil, les gestes, un moment d’écoute ou de concentration – lorsque précisément le modèle ne parle pas. »

Germain Viatte nous rappelle, ou nous apprend, souvent, ce que furent les chemins, les réseaux, les étapes de l’œuvre de chacun de ces artistes. Venus d’Italie, comme Valerio Adami, de Chine comme Zao Wou-ki et, bien plus tard, Gao Xinjan, peintre et Prix Nobel de littérature, de Russie comme Chagall et Rabine, de Pologne, comme Biala ou Haber, d’Allemagne, comme Rebecca Horn, de Roumanie, comme le sculpteur Hajdu. Et d’autres venus de bien d’autres pays.

D’Arikha, lui aussi roumain, la photo donne à voir un double portrait : la photographie, et l’autoportrait d’Avigdor Arikha. Sur la première, le visage du peintre « au vif » émerge d’une toile retournée, la seconde, en regard, elle aussi « comme au vif », est posée sur un chevalet. Cette photographie est différente de la plupart : deux fois le visage, mais pas de corps, donc pas de mains, sinon sa trace dans la virtuosité de dessin au plus près de la « réalité » (ou l’inverse).

Au contraire de la photographie prise de l’Argentin Sergio de Castro. Le geste, celui des mains, les mains elles-mêmes, ont gagné tout le visage, ont gagné sur lui. Pas de lumière du regard capté.

Pour Gao, une triple prise : le regard, la main et, en regard – au sens figuré et au sens propre –, une figure peinte, un cercle noir entourant un petit cercle blanc, un jeu de pupilles. Une photo métaphorique.

Leonor Fini. Elle dialogue avec son chat. Lui blanc, elle noire. Une main, une patte. La main de Czajski, venu de Tchécoslovaquie, est éloquente. Un geste parlant, la main s’appuie sur un cadre dont n’est vu que l’envers, le châssis. Les mains de Chagall sont l’une quasi sur l’autre, en 1980. Sans occupation. Sans objet. De quoi imaginer le meilleur – jadis –, et le pire ? L’œuvre inventive est close ?

Les doigts de Toguo, le Camerounais, en 2010, sont ornés de bagues à têtes de mort. Notre regard ne peut s’en détacher. Les bras de Télémaque, hors cadre, les mains de l’artiste touché par une paralysie, mais poursuivant sa création, comme on le voit en ce moment à son exposition de la galerie Carré. Osman Sow, en 1998, a ses mains appuyées sur la terre – celle de son Sénégal natal ? – et les yeux clos sur une méditation, dont pourrait être issue une œuvre, sur laquelle Germain Viatte a écrit une étude approfondie.

Rebecca Horn tend vers nous ses mains ouvertes, trois doigts écartés, deux joints. Ils répondent au tourment du visage et, en même temps ils nous en écartent.

Alechinsky, en 2004, a joint sa main droite à son front, la gauche, chez ce gaucher, tient un instrument, dont nous suivons la trace dans une forêt d’œuvres, de chemins familiers et de chemins qui bifurquent. Il est né belge, comme Martine Franck.

Les derniers mots de son texte de présentation Germain Viatte les emprunte à Rebecca Horn : « lorsque, pour rédiger ma biographie, on me demande où j’habite, je réponds toujours : « R. Horn voyage ? ».

Les photographies de Martine Franck sont aussi un voyage. Le cosmopolitisme des créateurs venus à Paris y a sa part. Mais surtout nous est rendue sensible la découverte de la création par le corps des créateurs. Un détour ? Ou la meilleure des prises ?

Georges Raillard

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