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L’un des artistes les plus saisissants du XXe siècle

Il y a d’abord eu la biographie de Joris van Parys en 2008, suivie, deux ans plus tard, de la rétrospective organisée à Heidelberg (Frans Masereel : Bilder gegen den Krieg). Certaines de ses œuvres ont ensuite été montrées à Metz, Paris, Bilbao et Bonn, dans le cadre de manifestations consacrées à la Première et à la Seconde Guerre mondiale. L’exposition qui s’est tenue à Sarrebruck du 21 octobre au 8 novembre dernier a pour ainsi dire constitué le point d’orgue de cette dynamique, une dynamique qui, en l’espace de quelques années, a permis de redécouvrir l’œuvre de Frans Masereel (1889-1972), l’un des artistes les plus saisissants du XXe siècle.
Karl-Ludwig Hofmann
Peter Rieder
Frans Masereel, Wir haben nicht das Recht zu schweigen, Les poètes contre la guerre
Il y a d’abord eu la biographie de Joris van Parys en 2008, suivie, deux ans plus tard, de la rétrospective organisée à Heidelberg (Frans Masereel : Bilder gegen den Krieg). Certaines de ses œuvres ont ensuite été montrées à Metz, Paris, Bilbao et Bonn, dans le cadre de manifestations consacrées à la Première et à la Seconde Guerre mondiale. L’exposition qui s’est tenue à Sarrebruck du 21 octobre au 8 novembre dernier a pour ainsi dire constitué le point d’orgue de cette dynamique, une dynamique qui, en l’espace de quelques années, a permis de redécouvrir l’œuvre de Frans Masereel (1889-1972), l’un des artistes les plus saisissants du XXe siècle.

Le catalogue publié à cette occasion est un modèle du genre. Édité par Karl-Ludwig Hofmann et Peter Riede, il présente cent soixante-dix œuvres de l’artiste belge ainsi que toute une série de photos dont certaines jusqu’alors inédites. L’ensemble rend parfaitement compte de la monumentalité de son imagerie, des lignes force de son engagement et des relations qu’il entretint avec les grands noms de son temps, René Arcos, Johannes R. Becher, Bertolt Brecht, Georges Duhamel, Hermann Hesse, Andreas Latzko, Thomas Mann, Romain Rolland, Carl Sternheim, Émile Verhaeren ou bien encore Stefan Zweig.

La partie la plus importante de l’ouvrage – la première ; la seconde, quant à elle, traite justement des connexions internationales de Masereel – est divisée en vingt-trois chapitres. Dix d’entre eux sont consacrés à la Grande Guerre et aux xylogravures que Masereel réalisa pour le compte de petites revues publiées en Suisse (Demain, La Feuille, Les Tablettes). En élaborant un style net et coupant, en jouant sur les contrastes de noir et de blanc, l’artiste y diffusa une vision apocalyptique de la guerre, inspirée, pour une large part, de Hans Holbein le Jeune (1497-1543) et de Francisco Goya (1746-1828) : les sept cent soixante-seize grands formats qu’il fit paraître dans La Feuille entre août 1917 et août 1920 – une quinzaine ont été reproduits dans le catalogue – en sont des exemples parmi les plus éloquents.

La suite montre bien la continuité de son engagement dans les années de l’après-guerre, en même temps qu’elle donne à voir la fascination que l’URSS exerça sur celui qui, pourtant, refusa toujours de s’allier au parti communiste. Ces pages, là encore richement illustrées, permettent d’apprécier les démarches que Masereel entreprit pour permettre au plus grand nombre d’accéder à ses travaux : de façon quasi systématique, il fit en effet doubler ses « romans en images » d’une édition populaire à moindre coût. Le succès fut au rendez-vous, puisque certains d’entre eux, Mein Stundenbuch (1920) notamment, atteignirent un tirage avoisinant les quinze mille exemplaires.

L’entre-deux-guerres fut d’ailleurs la période la plus faste de sa riche carrière. Accueillies par des éditeurs de renom (Insel Verlag, Kurt Wolff Verlag), ses productions furent également fréquemment reproduites dans la presse allemande, d’inspiration plus particulièrement communiste, social-démocrate et syndicaliste. À cela s’ajoutèrent une multitude d’expositions ainsi que de nombreux travaux d’illustration pour les plus prestigieux écrivains de son époque. Cette notoriété et la nature de son militantisme valurent à l’artiste d’être « brûlé » par les nazis dans l’autodafé du 10 mai 1933, et d’occuper une place de choix dans les expositions d’art dégénéré qui circulèrent à partir de ce moment à Mannheim, Karlsruhe, Nuremberg, Chemnitz, Stuttgart, Dessau, Ulm et Dresde. Déterminé à faire entendre sa voix, Masereel multiplia dès lors les publications. C’est à cette occasion qu’il réinvestit le thème de la Danse macabre, sujet qu’il avait traité pour la première fois en 1916 mais qui, dans le contexte de la montée des périls, retrouvait toute sa « pertinence ».

La guerre fit naître sous sa plume des dessins d’une poignante brutalité, comme en témoignent les versions revisitées qu’il donna à ce moment de la Danse macabre (1941 et 1946) ainsi que les représentations qu’il jeta sur le papier lorsqu’il eut connaissance de l’horreur des camps de concentration (Remember !, 1946). Le catalogue est moins prolixe sur la production des années qui suivirent la fin du conflit. Les quelques dessins reproduits indiquent néanmoins que Masereel, hanté par le spectre d’une guerre atomique généralisée, a poursuivi le combat en faveur de la cause qui était la sienne depuis 1914 : celle d’une humanité pacifiée. « Nous n’avons pas le droit de nous taire, ni d’être indifférents à ce qui se passe autour de nous », écrivait l’artiste en 1939. À l’heure où notre monde semble craquer de tous côtés, ce message – tout comme les critiques et mises en garde auxquelles il a donné corps – reste d’une terrible actualité.

Landry Charrier

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