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Georges Braque

Au fronton du Gand Palais, le nom du peintre. Seul, comme, dans les mêmes lieux en 1995, Cézanne. Sa rétrospective était annoncée par cette constatation : « Aborder Cézanne, c’est aujourd’hui encore entrer dans un territoire sacré ». Mais l’exposition était orientée par ces mots de Maurice Denis : « Il est celui qui peint. » Braque n’est pas sacralisé. D’artiste français idéal, officialisé par Malraux, confronté au Louvre à Poussin, il serait aujourd’hui devenu un peintre méconnu ? Plus qu’à revoir, à voir et à revoir, longuement, lentement.

Exposition George Braque 1882-1963

Grand Palais, Galeries Nationales

Du 16 Septembre 2013 au 6 Janvier 2014

 

Livre-catalogue de l'exposition

Sous la direction de Brigitte Léal

Réunion des musées nationaux, 344 p., 45 €

Au fronton du Gand Palais, le nom du peintre. Seul, comme, dans les mêmes lieux en 1995, Cézanne. Sa rétrospective était annoncée par cette constatation : « Aborder Cézanne, c’est aujourd’hui encore entrer dans un territoire sacré ». Mais l’exposition était orientée par ces mots de Maurice Denis : « Il est celui qui peint. » Braque n’est pas sacralisé. D’artiste français idéal, officialisé par Malraux, confronté au Louvre à Poussin, il serait aujourd’hui devenu un peintre méconnu ? Plus qu’à revoir, à voir et à revoir, longuement, lentement.

Brigitte Léal, dans l’introduction du catalogue, évoque une « indispensable réhabilitation ». Le parti fut un ample parcours, chronologique, fondé sur l’œuvre entier : 218 peintures du Port de l’Estaque (1906) à La Sarcleuse (1963) de Varengeville, un rare ensemble de gravures, des sculptures, des livres, des photographies, des documents, des vidéos, bref, sur plusieurs étages des galeries du Grand Palais (où les sièges sont chichement distribués).

Comment saisir cet œuvre exposé, à notre disposition, entrer dans son territoire ? La chronologie de l’histoire de l’art ne dit rien de l’histoire de l’œuvre, de son lieu d’origine, du mouvement dont elle est née, de la lumière dont elle est issue, essentielle pour Braque. L’éclairage muséal est étranger à la lumière native, celle de la Méditerranée, celle des côtes normandes, voire celle de l’atelier. Aux cimaises les effets sont accentués : le blanc d’un pot rayonne souverainement, entre deux Nature morte à la langouste côte à côte, on prête attention à l’apport du grenu de matière dans la peinture.

La recherche de la « vérité en peinture », selon la formule de Cézanne, s’articule chez Braque en vérité des choses : les rapports concrets, l’espace entre les choses et notre œil… Proches ou distants, c’est tout un, des objets, répétés, variés, sont à la portée de la main, elle se les approprie. Une main active.

En 1956, la galerie Maeght présente des peintures récentes de Braque. Jacques Dupin écrit dans le catalogue : « L’artiste n’est pas incompris, il est méconnu. On l’exploite sans savoir que c’est lui. » Mais devant les dernières peintures de Braque, impossible d’amonceler la brume, impossible d’échapper à la vérité qui étreint. Il s’expose et nous sommes tous exposés. Nous savons que c’est lui. Nous touchons à la nudité de son art, à l’instant de sa plénitude. Après cela, comment parler de Braque avec des mots prudents ?

Pour cerner Braque, pour le définir, pour traquer la différence dans la répétition d’un motif, bien des mots ont été avancés, aujourd’hui usés par leur ressassement, ou leur imprudence (ou leur prudence ?) : Braque, le « vérificateur » pour Apollinaire, qui préfaça sa première exposition en 1908 ; le « réconciliateur » selon Francis Ponge ; le « contemplatif » pour Stanislas Fumet, un peu oublié ; Braque le patron de Jean Paulhan. Jacques Dupin, un peu plus tard, ne se borne pas à la simplicité d’une épithète : « Georges Braque, l’alliance de la main qui médite et de l’œil qui façonne. » (Ces textes de Dupin sont repris dans L’Espace autrement dit, Galilée, 1982.)

Les étapes du « parcours » de Braque sont recensées. L’histoire en est écrite. Un chapitre pourtant reste litigieux, délibérément omis au Grand Palais : la rencontre Braque/Picasso. En 1907, Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon. À l’automne, il montre son tableau à quelques amis, dont Braque. C’est aussi l’époque de Trois Femmes. Braque aurait dit à Picasso : « Ta peinture, c’est comme si tu nous faisais manger de l’étoupe et boire du pétrole pour cracher du feu ! » Quelques mois plus tard, Braque peint Le Grand Nu. Ce que ce grand tableau, mis en valeur à l’exposition, doit ou pas à Picasso est un sujet de dissertation. On peut mettre au dossier ce que Braque peignait à l’automne 1907, le Paysage de La Ciotat : une peinture attachante, des accords de couleur, modulées, modelées. Pas de feu craché. D’où vient, en 1908, Le Grand Nu : sa position, les touches hachées, le travail du chromatisme en trois plages ?

La naissance du cubisme est disputée. L’organisatrice de la rétrospective ne souhaitait pas que soit présente la distribution des rôles entre Picasso et Braque (ou Braque et Picasso – l’ordre des préséances devient un parti pris). La rencontre éphémère de deux artistes, artisans de la révolution cubiste, est néanmoins évoquée dans plusieurs textes du catalogue. L’un vient du fauvisme et d’une attention précise à Cézanne, l’autre pas. Braque restera fidèle à ce qu’avait été pour lui le cubisme, un acquis en profondeur d’où procèderont des figures inégales. Pour Picasso, le cubisme est un moment de son inventaire, anxieux et passionné, des formes : de combien de façons différentes peut se dire le même, ainsi même et autre ?

Ces quelques années, 1908-1913, sont bien représentées au Grand Palais. Par Braque seul. « L’invention du cubisme » aurait exigé que Picasso et Braque coexistassent. Ce fut un projet jugé indispensable par William Rubin, du musée d’art moderne de New York, et Dominique Bozo, directeur du Musée d’Art moderne à Paris. Les catalogues, précieux, furent réalisés, l’américain et le français. Sauf que celui-ci est le catalogue d’une exposition qui n’a pas eu lieu. Un « responsable » français refusa sa venue à Paris, après New York. La Suisse l’accueillit. On alla donc à Bâle, en juin 1990 (Cf. QL n° 556). L’ouvrage a été édité par Flammarion.

On ira au Grand Palais plusieurs fois. Le temps du visiteur d’une exposition n’est pas le temps d’une œuvre, pas plus que celui-ci n’est le temps du peintre. Il faut aussi du temps pour réfléchir aux jugements les plus tranchants inscrits dans notre esprit. Ainsi celui d’André Breton agacé : « Braque aime la règle qui corrige l’émotion, alors que je ne fais, moi, que nier violemment cette règle. Cette règle, où la prend-il ? Il doit y avoir quelque idée de Dieu là-dessous. C’est très joli de peindre et c’est très joli de ne pas peindre. On peut même bien peindre et ne pas peindre. Enfin… Braque est, à l’heure actuelle, un grand réfugié. J’ai peur d’ici un an ou deux de ne plus pouvoir prononcer son nom. Je me hâte. »

L’œuvre de Braque se déploie aux antipodes de la hâte.

Georges Raillard

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