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Article publié dans le n°1172 (01 mai 2017) de Quinzaines

Christophe Ono-dit-Biot est tombé très tôt dans le monde balbutiant d’internet : il publie, en 1995, son journal intime en ligne, Le Journal de l’énervé. Cette expérience, inédite à l’époque en France, lui vaut à vingt ans sa première célébrité. Il publie aujourd’hui Croire au merveilleux, son sixième roman. Quatre ans après la parution de Plonger, couronné du grand prix de l’Académie française, Christophe Ono-dit-Biot renoue avec le héros de ce livre, César. Il signe avec Croire au merveilleux l’histoire d’un deuil, de sa difficulté à surmonter la perte et l’abandon, malgré la vie qui fait pousser des ailes dans le dos. Et si les blessures pouvaient se refermer grâce aux mythes grecs ? Et si la clé venait de l’enfance ?
Christophe Ono-Dit-Biot
Croire au merveilleux
Christophe Ono-dit-Biot est tombé très tôt dans le monde balbutiant d’internet : il publie, en 1995, son journal intime en ligne, Le Journal de l’énervé. Cette expérience, inédite à l’époque en France, lui vaut à vingt ans sa première célébrité. Il publie aujourd’hui Croire au merveilleux, son sixième roman. Quatre ans après la parution de Plonger, couronné du grand prix de l’Académie française, Christophe Ono-dit-Biot renoue avec le héros de ce livre, César. Il signe avec Croire au merveilleux l’histoire d’un deuil, de sa difficulté à surmonter la perte et l’abandon, malgré la vie qui fait pousser des ailes dans le dos. Et si les blessures pouvaient se refermer grâce aux mythes grecs ? Et si la clé venait de l’enfance ?

La citation de Paul Veyne, mise en exergue par l’auteur, donne le ton du roman : « Seule l’Antiquité païenne éveillait mon désir, parce que c’était le monde d’avant, parce que c’était un monde aboli. » Cette profession de foi place le livre d’Ono-dit-Biot sous l’égide de l’Antiquité et de la puissance de ses mythes, qui irriguent l’ensemble du texte, et sont un plongeon vers les racines du monde et celles de l’être. De plus, l’invitation au voyage – en l’occurrence en France, en Italie, en passant par l’Espagne, la Grèce ou encore le Japon – est une thématique récurrente de l’œuvre d’Ono-dit-Biot : l’intrigue d’Interdit à toute femme et à toute femelle se déroule en Grèce sur le mont Athos avec son monastère autorisé uniquement aux êtres de sexe masculin, d’où ce titre abrupt. Birmane propose une escapade dans le Sud-Est asiatique, au cœur d’un pays dirigé par une junte militaire intraitable.

Enfin, Plonger met en scène César et Paz, qui fréquentent les profonds abysses méditerranéens. Les protagonistes sont engagés dans une quête de sens au sein d’un monde devenu insensé. Journaliste dans un grand organe de presse parisien, le héros-narrateur (César) fait la connaissance d’une jeune photographe espagnole (Paz), exceptionnellement douée. La rencontre se passe plutôt mal car, au lieu de remercier le journaliste qui vient d’écrire un papier très élogieux sur son travail, l’artiste lui reproche d’avoir mal interprété son œuvre. Un amour passion, qui détruit à petit feu, un amour à mort va naître entre les deux personnages. Une tragédie s’abat sur César, ce presque quadragénaire bien installé au cœur du pouvoir médiatique, dans un monde chaotique dont l’Europe serait l’antichambre : son grand amour, Paz, cette fille des Asturies « vibrante, tempétueuse, aquatique », est retrouvée morte sur une plage d’Arabie. Cette femme, aux « yeux comme des billes de charbon qui prennent feu, un feu noir, comme sa chevelure », laisse orphelin leur fils Hector. Pour ce fils, à qui il doit la vérité sur sa mère, César remonte le fil de leur amour – leur rencontre, les débuts puis l’ascension de Paz dans le monde de l’art, la naissance de l’enfant – et essaie d’élucider les raisons qui ont précipité sa fin.

De structure tripartite (« La mort », « Le ressuscité », « L’invité »), Croire au merveilleux constitue la suite de Plonger. Croire au merveilleux pose une question fondamentale : comment continuer à croire aux réenchantements perpétuels des sens et de l’existence quand on a perdu la femme de sa vie ? D’une fiction à l’autre, les personnages restent les mêmes, mais chaque ouvrage est indépendant. Incontestablement, l’auteur a une forte inclination pour la Méditerranée et les valeurs antiques. Il est un fervent défenseur de l’enseignement du latin et du grec, comme en témoignent ses références à l’Antiquité, qui sont légion : Ulysse, Socrate, l’ataraxie, la Théogonie d’Hésiode, le symbolon, Orphée et Eurydice, Poséidon, La Guerre du Péloponnèse de Thucydide, Sisyphe, Achille, Héraclès, etc. peuplent le récit, égrènent la trame narrative, comme un vaste cortège de fantômes mythologiques intemporels et structurants.

César, jeune père d’un adorable garçonnet, Hector, ne se console pas de la disparition de Paz. Au point de vouloir en finir avec l’existence. Plusieurs pages décrivent son passage à l’acte. Cet homme déchiré est prêt à se suicider. L’incipit, à l’image de tout le premier chapitre, est étouffant, dramatique, angoissant : « Aujourd’hui je vais mourir. Je ne suis pas malade. Je ne suis pas ruiné. Je n’arrive pas à vivre, c’est tout. Amputé à ce point, est-ce qu’on peut même employer le mot : vivre ? ». Tout semble dit. César va mal, comme le monde qui l’entoure : il ne parvient pas à rendre Hector heureux, à être un père pour lui. Il capitule, décidé à en finir. Or, étrangement, au moment même où il vacille, après avoir pris quelques médicaments savamment dosés, quelqu’un frappe à la porte. C’est une jeune femme, sa nouvelle voisine, qu’il n’avait jamais vue. Il s’agit de Nana, une jeune femme avec un accent grec, « au regard vert pâle » et « au visage ovale », que sa bibliothèque remplie d’auteurs issus de la littérature grecque classique semble beaucoup intéresser. Elle est nettement plus jeune que lui, elle termine un master d’architecture à Paris-Belleville, un Paris qui reflète le chaos du monde, un Paris meurtri, comme César, qu’elle va peu à peu tirer de sa tristesse par sa conversation, son écoute attentive et prévenante. Et César va progressivement découvrir, à propos de cette voisine – à qui il s’attache – et de son frère, une certaine étrangeté, un mystère qui se fait jour et dont les dimensions se révèlent au fur et à mesure des étapes du voyage – à la fois géographique et intérieur – du narrateur. Croire au merveilleux est l’histoire d’un homme sauvé doublement par l’enfance : son enfance à lui et celle de son fils.

Ce livre est une sorte de conte moderne, branché sur notre monde chaotique. Un conte où il est question, comme dans Plonger, de la transmission de la culture que les générations antérieures nous ont léguée, et que nous essayons de donner à celles et ceux qui nous succéderont. Sous-tendue par une plume remarquable de légèreté et de précision, la beauté est omniprésente, la poésie des mots donnant un relief majestueux à cette œuvre. Sur fond d’analepses touchantes, c’est dans l’amour perdu et passionnel de César pour Paz que réside la force du texte ; c’est aussi le témoignage d’un père à un fils, l’une des plus belles oraisons funèbres jamais écrites. Néanmoins, loin d’être une plongée abyssale dans une nostalgie dépressive ou la mise en scène d’une catabase irrémédiable, le roman de Christophe Ono-dit-Biot est un récit anabatique fascinant, qui passe de la mort à une exhortation essentielle : vivre et croire au merveilleux, c’est-à-dire sculpter sa capacité à s’étonner, commencement de la sagesse.

Franck Colotte

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