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L'art de vivre à Pompéi

Un même titre, Pompéi un art de vivre, donné à une exposition, au catalogue et à un ouvrage publié simultanément. Beaucoup de chemins communs et des points de vue propres. Le pivot devrait être la mort, après l’ensevelissement sous les laves du Vésuve d’Herculanum et de Pompéi en l’an 79 de notre ère. En témoignent, enlacés, des corps surpris, ou bien un chien tirant sur sa chaîne. Mais par-delà la mort la résurrection de la cité. Une vie saisie sans l’usure du temps. Elle pâtit maintenant du tourisme. Les images des livres en préservent l’éclat.

EXPOSITION
POMPÉI UN ART DE VIVRE
21 septembre 2011 – 12 février 2012
Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris,
ouvert tous les jours
Catalogue sous la direction de Patrizia Nitti
Musée Maillol/Gallimard, 225 p., 200 ill., 39 €

 

PUBLICATION
EVA CANTERELLA et LUCIANA
JACOBELLI
POMPÉI UN ART DE VIVRE
trad. de l’italien par Denis-Armand Canal
Un volume aux belles illustrations pleines pages
Éd. de l’Imprimerie nationale, 232 p., 59 €

Un même titre, Pompéi un art de vivre, donné à une exposition, au catalogue et à un ouvrage publié simultanément. Beaucoup de chemins communs et des points de vue propres. Le pivot devrait être la mort, après l’ensevelissement sous les laves du Vésuve d’Herculanum et de Pompéi en l’an 79 de notre ère. En témoignent, enlacés, des corps surpris, ou bien un chien tirant sur sa chaîne. Mais par-delà la mort la résurrection de la cité. Une vie saisie sans l’usure du temps. Elle pâtit maintenant du tourisme. Les images des livres en préservent l’éclat.

Beaucoup donc de points communs entre ces reliefs de ce qui fut la vie quotidienne d’une cité prospère de Campanie. Ils ne sont pas inconnus. En 1973, 400 pièces étaient présentées au Petit Palais, la plupart appartenaient au musée de Naples, aujourd’hui encore prêteur. Le Trésor de Boscoreale était alors représenté par des objets du fonds du Louvre, vases, bijoux, miroirs…

Le catalogue et l’exposition du musée Maillol répondent autant qu’il est possible à une objection que l’on pouvait faire au rassemblement de ce qu’on sait de Pompéi. Georges Vallet alors directeur de l’École de Rome répondait lui-même à l’objection qu’il formulait en ces termes : « Ce ne sont pas des objets séparés de leur contexte qui rendront jamais cette impression de vie et de mort, de désespoir et de beauté. » Mais il notait qu’on y pouvait saisir la spécificité des cités campaniennes, elle bouleversait la vue « néo-classique » de l’Antiquité, fondée sur l’image romaine. Herculanum et Pompéi étaient considérés par Mme de Staël comme « les ruines les plus curieuses de l’Antiquité ». Mais aussi qu’« à Pompeia, c’est la vie privée des anciens qui s’offre à vous telle qu’elle était ».

En 80 av. J.-C., la cité était devenue colonie romaine. Elle avait subi de multiples influences, grecques, étrusques, une période samnite dont sont marquées sa langue et sa culture. Ville de 25 000 habitants au moment de l’éruption du Vésuve, on peut, grâce au voile mortifère qui l’a recouverte, retrouver quelque chose de la vie, voire de l’art qui y était pratiqué. Les titres des ouvrages disent mieux et plus que L’art de vivre à Pompéi : Pompéi un art de vivre.

L’ouvrage de l’Imprimerie nationale est fondé sur trois grandes divisions : Naître, Vivre, Mourir. De plus les excellentes images font leur place aux représentations de Pompéi au XIXe et au XXe siècle (Les Derniers Jours de Pompéi, film de Carmine Gallone). Elles révèlent la prégnance d’un mythe.

La réalité de la vie à Pompéi est multiple, ne serait-ce qu’en raison de la mixité du peuplement. Elle se développe autour de la maison, bâtiments imposants et jardins privés. L’architecture, les parois ornées de fresques, le mobilier, les baignoires dans une ville où bien des demeures possédaient des salles de bains, l’eau chaude, voire le chauffage central… Mais les latrines étaient logées dans la cuisine.

Ce qui frappe c’est la diversité des objets recueillis à Pompéi, diversité des matériaux, or, verre, terre cuite, bronze, marbre… Et surtout, diversité des styles étendue sur deux siècles. Lares, Mercure, Jupiter, Hercule… provenant de la maison de Gratus ou d’autres, dénotent la richesse ostentatoire des propriétaires et le recours à de très habiles artistes-artisans. Ainsi, tel très élégant support de lampes de la maison de Julius Polybus dont a été trouvé un exemplaire similaire – du même artisan ? Les meubles, les bijoux sont souvent plus près de notre goût que de celui du XIXe siècle. Tel récipient de terre cuite faite d’incisions et de brefs signes paraît un picassien de Vallauris de nos années 50. Tout au contraire, sur un grand poêle sont multipliés les « ornements ».

Pendant longtemps on a surtout retenu des représentations peintes à Pompéi les scènes érotiques. Un bref chapitre du catalogue est intitulé « L’Amour sur les murs ». Un commentateur (Antonio Varone) note qu’en matière d’érotisme les coutumes ont changé, « que les règles en matière de sexe étaient surtout liées à des considérations purement sociales et non morales. On pratiquait avec insistance mais apparemment avec innocence, ce que nous considérons comme des perversions, sans jamais les envisager comme telles ». Et le commentateur conclut : « Chanter le sexe, par le fait même de le vivre, est un besoin instinctif de l’humanité. » Oui.

Les pénis sont innombrables à Pompéi. Les historiens ont énuméré les rôles divers joués par ces représentations en tout style.

Je vois une moindre attention donnée au sexe féminin. Par exemple dans la propriété de Julia Felix, un grand vase de verre est rempli de fruits. À côté du socle, en évidence, une grenade. Une grenade entr’ouverte. En 1860 Théodore Aubanel publie La Grenade entr’ouverte (La Miugrano entre-duberto). Le livre, qui est Le Livre de l’amour, est préfacé par Frédéric Mistral (Prix Nobel) : le grenadier « épanouit en cachette ses fleurs sanglantes ».

Grenade entr’ouverte, ou moules ouvertes. Dans un tableautin destiné à l’ornement d’une riche demeure, deux moules ouvertes. Elles montrent leur chair. Elles sont là comme par hasard, mais en évidence.

« Ah la moule fraîche et bonne, ah la moule !… » écrit Proust cité par Claude Simon dans le Poisson Cathédrale, la première des Quatre conférences qui viennent de paraître. Il rappelle le rapport mis en valeur par Proust entre les Petites Madeleines et « la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques ». Claude Simon note que les termes de la description « d’une façon non équivoque s’appliquent à cet organe, sexe (vulve) que, plus tard, lorsque dans La Prisonnière, il décrit Albertine nue, se trouve niché là où (je cite) “son ventre se refermait à la jonction de ses cuisses par deux valves” ». Rappelons encore cette citation par Claude Simon d’une définition du dictionnaire : « La moule est un mollusque bivalve. »

Dans Femmes, textes écrits par Claude Simon en marge de dessins de Miró – chez qui pullulent pénis et sexes féminins (« des éléments de mon langage » me disait-il)–, on lit :

« Certaines sentent la mer les coquillages

D’autres comme si on enfouissait son visage dans la mousse trouvant au-dessus cet âcre et noir parfum d’humus de

Conception, Incarnation, Consuelo, Conchita. » 

Conchita, petite coquille, petite vulve.

Dans les riches demeures de Pompéi où se nichait le plus d’érotisme, dans les accouplements au vif, ou dans les moules ou dans la grenade entr’ouverte ?

Georges Raillard

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