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L'atelier de Garache

    Claude Garache (né en 1929) est un artiste qui passe pour singulier. Depuis un demi-siècle il peint en rouge (quatre cadmiums) un même nu : des peintures à partir de milliers de modèle. Poètes, écrivains, hommes de science ont commenté l’œuvre de Garache. Manquait seulement une voix, celle de Claude Garache. Pour la première fois le peintre parle, répondant avec sa précision coutumière à trois interlocuteurs accordés à cet œuvre.
    Claude Garache (né en 1929) est un artiste qui passe pour singulier. Depuis un demi-siècle il peint en rouge (quatre cadmiums) un même nu : des peintures à partir de milliers de modèle. Poètes, écrivains, hommes de science ont commenté l’œuvre de Garache. Manquait seulement une voix, celle de Claude Garache. Pour la première fois le peintre parle, répondant avec sa précision coutumière à trois interlocuteurs accordés à cet œuvre.

Des nus de Garache, nous suivons les poses que leur a données le peintre ordonnateur. Tout le corps s’y articule et vibre dans le rouge que notre regard parcourt et où il se perd avec plaisir. Pas d’échange de regards entre le contemplateur et la femme nue. Son regard est invisible dans le visage toujours masqué par une large mèche de cheveux.

Ces corps parlent le langage de leur carnation, de leur être de chair dont Garache imagine et rend sensible la vie qui y circule, de l’intérieur à l’extérieur. Pour lui, et il le devient pour nous, un corps est un paysage, avec ses ombres, ses replis, ses éminences, ses golfes. Jacques Dupin l’a dit au mieux : « Un paysage orienté, merveilleusement aimanté, rougeoyant et brossé par le désir. »

Yves Bonnefoy relève dans la couleur de Garache, émanant de ses théories de corps, « l’éclat d’un lieu dangereux ». Qu’on ne simplifiera pas en vulgate érotique : « En vérité l’influence de cet art glacé est si forte que les suggestions charnelles que le rouge ou le rose font d’ordinaire en sont écartées d’emblée. » Le « rouge-rose si singulier » de Garache est la syllabe cardinale de la langue du peintre. Elle nous ouvre à un territoire où le poète l’échangera avec la sienne. Les deux langues désignent l’excès de la chair « qui répond en son être à nos instincts les plus rebelles à l’analyse. »

Jean Starobinski nomme « officiantes » ces femmes que, pourtant, rien ne rattache à un rituel. Officiantes, elles le sont par la forme de leur présence, « dans la nonchalance, dans l’aise presque animale du corps, ces figures dessinent l’hiéroglyphe de la féminité. Dans le reploiement du sommeil, elles abritent cette offrande : la braise du feu premier qui réside au fond des choses ». Claude Garache dit : « une peinture est une œuvre de l’esprit. Ce n’est pas le transfert d’un corps sur une toile. Cela passe par le cerveau ». Par le cerveau du peintre et l’espace où il travaille, homologique de ce qu’il cherche à saisir et à rendre : le rapport d’un corps à l’espace.

À l’atelier, il est constamment en mouvement : il s’approche, au plus près, du modèle, s’en éloigne, marche, s’assied au sol. Son art est mû par le plaisir et le souci de la beauté, un mode de la connaissance : « Je voudrais que l’on ait la curiosité de s’approcher de la surface peinte et que l’on en éprouve un grand plaisir. »

Georges Raillard

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