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Dialogues avec Louise Bourgeois

    Le jour de l’annonce de la mort de Louise Bourgeois (1), j’avais à portée de la main deux livres de peu de pages dont la couverture portait, à côté du nom de l’auteur du livre, celui de Louise Bourgeois. Naissance, conte de Jean Frémon (Fata Morgana, achevé d’imprimer le 25 décembre 2009) ; La Main négative, de Tiphaine Samoyault (Argol, 2008).
    Le jour de l’annonce de la mort de Louise Bourgeois (1), j’avais à portée de la main deux livres de peu de pages dont la couverture portait, à côté du nom de l’auteur du livre, celui de Louise Bourgeois. Naissance, conte de Jean Frémon (Fata Morgana, achevé d’imprimer le 25 décembre 2009) ; La Main négative, de Tiphaine Samoyault (Argol, 2008).

Deux dialogues aux positions inversées : le livre de Tiphaine Samoyault est organisé autour de reproductions de sept œuvres de Louise Bourgeois choisies par elle ; celui de Jean Frémon a été commenté par des dessins de l’artiste. Jean Frémon décrit l’avènement de la nudité de Jésus – représenté « complet en toutes ses parties », selon l’injonction d’Augustin à « la joie de l’incarnation ». « Dois-je doter, se demande le peintre qui au XIVe siècle a reçu cette commande, dois-je doter l’enfant d’une bite et de deux petites couilles ? » Face à la page 23, rose-rouge comme tous les dessins de l’ouvrage, un nouveau-né sort en plongée de l’utérus maternel. Face à la page 15, le fœtus est dans le sein de la mère.

Jean Frémon est un familier de Louise Bourgeois. C’est à lui qu’on doit, à la galerie Maeght-Lelong la première exposition à Paris du sculpteur. Il écrit Femme-maison. Depuis trente ans, à chacun de ses voyages à New York, l’écrivain rend visite à son amie qui lui montre ses dessins récents. Ainsi lui confie-t-elle ces images qui ne répètent pas ce que l’on connaît couramment d’elle mais qui sont au plus près du titre de Frémon, Naissance : une ouverture au monde à partir du sexe, dans le déluge tragique du rouge-rose.

Jean Frémon écrivait jadis que l’œuvre de Louise Bourgeois était « entièrement autobiographique » : « c’est à partir de quelques données de base remontant à son enfance que s’élabore toute son œuvre ». À propos des dessins de 1989, je notais qu’il n’y a pas chez Louise Bourgeois de double fond de la représentation. Ce qu’elle n’aimait pas chez Breton. Pas plus que Miró avec qui elle était liée et sur lequel elle a écrit, dans Artforum en janvier 1994 « Miró at 100, Native Talent ». Louise Bourgeois dialoguait elle-même avec elle-même, écrivant de brefs textes en anglais aussi intraduisibles que ses traits de naissance.

Dans le récit autobiographique de Tiphaine Samoyault, le fœtus dans le ventre de la mère aurait pu être illustré par un dessin de Louise Bourgeois pour Naissance. Son texte s’ouvre ainsi énigmatiquement : « Louise Bourgeois et moi, qui n’étions pas sœurs, avons pu, enfants, nous cacher derrière des tentures. » Suit un récit aux chemins qui bifurquent, que nous relisons avec Louise Bourgeois et avec elle.

La Louise Bourgeois reflétée par ce livre n’est pas non plus la plus connue ou la plus couramment citée. Comme chez Frémon et de façon aussi subtile, c’est la pensée de la naissance, et au-delà même, de la maternité, que permet la confrontation avec l’œuvre de cette très grande artiste de notre temps.

  1. QL n° 526 « Les dessins de Louise Bourgeois » et n° 666 « La Chevelure de Louise Bourgeois ».
Georges Raillard

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