La revue Diacritik

Article publié dans le n°1147 (16 mars 2016) de Quinzaines

Entretien avec Christine Marcandier et Johan Faerber, fondateurs du site Diacritik1.
Entretien avec Christine Marcandier et Johan Faerber, fondateurs du site Diacritik1.

Patricia De Pas : Quel est le projet éditorial de Diacritik ?

Christine Marcandier : Notre projet est né de l’idée d’analyser la manière dont le champ culturel se construit. Avec le décalage comme principe fondateur. Être capable d’évoquer Blanchot et Madonna ou Ricœur et Lady Gaga dans le même papier. Non par jeu ou par défi, mais parce qu’il n’y a pas de discours illégitime ou à exclure. Nous voulons éviter tout regard surplombant. Il est important pour nous de considérer la culture comme un espace large, la littérature, le cinéma, le théâtre, la bande dessinée mais aussi le sport, la cuisine ou les jeux vidéo.

Johan Faerber : La littérature (et la culture en général) ne nous semble pas uniquement relever des suppléments de journaux d’information (Le Monde, Le Figaro, Libération) mais elle est à la source même des réflexions sociales les plus vives, des débats politiques les plus accomplis et des initiatives économiques les plus neuves. La culture n’est pas supplémentaire, elle est centrale : elle se donne comme le terreau de toute démocratie.

P. D. P : Qu’est-ce qui distingue Diacritik des autres journaux littéraires ? 

C. M. et J. F. : Nous avons voulu nous placer sous une double ascendance : redonner au mot « critique » son sens étymologique, celui de la méconnaissance, tel qu’Agamben le rappelle au début de Stanze. Car notre but est d’aller voir ce que l’on ne connaît pas ou mal, en plus des dossiers plus « historicisés » (Barthes, Deleuze, Foucault) ; et d’adopter une visée plus sociologique et culturelle, en nous emparant de tous les objets environnants, notamment les objets les plus simples du quotidien. Que peut-on dire du contemporain à travers les signes culturels ? Où se donne à lire et à voir notre contemporain ? Notre approche se veut avant tout politique et sémiologique.

Nous avons pour ambition de penser le contemporain : penser quelque chose qui est lui-même en train de se penser. Montrer que le vivier culturel n’est peut-être pas là où on l’attend, que le contemporain existe, qu’il n’est pas une zone de non-existence. L’un des articles les plus lus sur Diacritik est consacré au feuilleton Plus belle la vie, analysé par Stéphanie Arc et Natacha Chetcuti-Osorovitz, respectivement journaliste et sociologue, sous l’angle des queer studies. 

P. D. P. : Quels ont été vos modèles, vos contre-modèles ? 

C. M. et J. F. : Nous avions envie de rivaliser avec ce que voulait faire la NRF (de Jean Paulhan), un foyer de réflexion très ancré dans l’actualité et ouvert à une pluralité neuve. Ou encore la revue (éphémère) Minuit dans les années soixante-dix, qui se donnait comme le vivier de jeunes écritures. L’écrivain Olivier Steiner tient un journal dans le journal. Nous offrons des inédits littéraires, des écrivains viennent dire ce qu’est pour eux « Écrire aujourd’hui ». Mais nous ne sommes pas nostalgiques d’Actuel ou d’autres grandes entreprises de presse du passé, nous allons vers un avant, construit quotidiennement. Et force est de constater que nous ne sommes pas seuls, notre lectorat de plus en plus large nous le prouve, mais aussi l’existence d’autres journaux, magazines et revues en ligne, comme La Piscine, Le Poulailler ou Nuit et Jour, qui défendent une façon de voir proche de la nôtre.

P. D. P. : En matière de journalisme littéraire, pensez-vous que le support détermine la forme ? 

C. M. et J. F. : Indéniablement. Être un journal en ligne nous permet une invention constante, et nous travaillons beaucoup sur une poétique du support : en variant les formes, les angles et les regards ; en croisant les signatures ; en encourageant des points de vue parfois opposés sur le même sujet. Diacritik, ce sont des textes et des articles, certes, mais aussi des reportages photos, des entretiens vidéo, la construction d’hypertextes, de chemins, de liens et de dialogues. Notre ambition est de donner à voir, entendre et comprendre autrement, et de dire combien, à rebours des Cassandre qui clament que notre temps est mort, le contemporain est à vivre au présent.

1. www.diacritik.com

Patricia De Pas

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