Les tableaux, comme à l’accoutumée, ne portent pas chacun un titre. Ils sont réunis par une orientation commune. Cet ensemble est ainsi nommé, « Une scène très différente se déroule derrière la cloison ». Une autre scène ? Une scène originaire ? Peut-être. Jo Vargas n’a-t-elle pas peint plusieurs tableaux où le visage de Delacroix est imbriqué dans le tapis qui recouvrait le divan de Freud ? Mais je n’irai pas chercher derrière cette cloison. Interrogée, je l’avoue, l’artiste me répond : « Cette phrase, je l’ai recueillie, au bonheur la chance, dans le Journal de Virginia Woolf. »
Des images fondatrices, des regard échangés, comme cet échange constant avec Virginia Woolf, c’est là la constitution de Jo Vargas, composition de mémoire, de posture, d’infinie reprise, avec on ne sait quoi à l’arrivée – de quoi ? de qui ?
Beaucoup de séries sont fondées en présence d’un personnage, comme un donateur, une tête présente, au vif et énigmatique. Ce fut dans les séries précédentes Gombrovitcz, Mahler, Delacroix et d’autres, célèbres et reconnaissables.
Ce n’est pas tout à fait le cas dans les séries d’aujourd’hui. Certes, encore Delacroix – la photo de Carjat – mais parmi des traits, à l’origine sans doute issus du fusain, que Jo Vargas appelle des herses. Elles marquent, me semble-t-il, des territoires occultés, plus qu’ouverts et qui restent à explorer, qui en donnent le désir.
Delacroix, curieusement, paraît lié au territoire du Radeau de la Méduse, autant labouré par Jo Vargas qu’il ne l’avait été par Géricault lui-même. Entre Delacroix et Géricault, six ou sept ans et l’apprentissage fait par le plus jeune chez le maître qui le prit même comme personnage de son grand tableau en cours. Pas de portrait de Géricault dans tout Vargas. Il est là par détour, par les membres, par les corps, les plis des vêtements, la nudité. Jo Vargas tranche, recoupe, démembre à nouveau, remembre dans ces compositions autour de corps morcelés. Nous n’avons pas la clef de cette « parade sauvage ». À peine nous serait donnée la clef de deux personnages identifiables : Marcel Duchamp masqué en 1921 en Rose Sélavy dont le regard nous atteint. Et Robert Schumann, le musicien devenu fou, d’amours, de musiques.
Deux voies ouvertes : l’œuvre de Duchamp qui a bouleversé un ordre. Comme Jo Vargas qui du Radeau de la Méduse, mis en pièces, tend vers nous, et vers je ne sais quoi, des mains vivantes. La présence de Duchamp m’a surpris, pourtant rien qui ne soit conforme aux attentes de la part de celui qui a écrit, dans la Mariée mise à nu :
« La voiture désire de plus en plus haut de la montée, et tout en accélérant lentement, comme fatiguée d’espoir, elle répète ses coups de moteur réguliers à une vitesse de plus en plus grande jusqu’au ronflement triomphal. »
Les herses de Jo Vargas sont à claire-voie.
Georges Raillard
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)