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Nus en peinture

Deux expositions simultanées dont le point commun est le nu. Degas et le nu : c’est une des voies royales de l’approche de l’artiste, l’emportant sur Degas et la danse, la photographie, ou le cadrage. L’autre exposition est celle d’une quasi-inconnue, jamais jusqu’ici l’objet d’une rétrospective à Paris, Artemisia Gentileschi (1593-1654). Née à Rome, fille d’un peintre, violée par un collaborateur d’atelier. Une existence parmi les dévergondages qui tiennent plus de place dans les vues sur le peintre que dans l’évaluation de son art.

EXPOSITIONS
DEGAS ET LE NU
Musée d’Orsay, 13 mars – 1er juillet 2012
Catalogue
Éd. Musée d’Orsay/Hazan, 280 p., 39,95 €

ARTEMISIA 1593-1654
Pouvoir, gloire et passions d’une femme-peintre
Musée Maillol, 14 mars – 15 juillet 2012

Catalogue
Coédition Musée Maillol/Gallimard, 256 p.,
120 ill., 39 €

Deux expositions simultanées dont le point commun est le nu. Degas et le nu : c’est une des voies royales de l’approche de l’artiste, l’emportant sur Degas et la danse, la photographie, ou le cadrage. L’autre exposition est celle d’une quasi-inconnue, jamais jusqu’ici l’objet d’une rétrospective à Paris, Artemisia Gentileschi (1593-1654). Née à Rome, fille d’un peintre, violée par un collaborateur d’atelier. Une existence parmi les dévergondages qui tiennent plus de place dans les vues sur le peintre que dans l’évaluation de son art.

Degas parle. C’est le titre donné aux propos du peintre recueillis par son jeune ami Daniel Halévy. Un livre qui nous fait entrer dans la personnalité et l’art de Degas, grâce à un homme doué de « l’esprit Halévy » : « Cet esprit alerte, dépouillé de lieux communs et de sentiments convenus » écrivait Proust.

Lucian Freud, dans un entretien qui ouvre le catalogue, exprime sa dette envers ce livre « drôle et spirituel » : « Degas dit des choses d’une grande finesse psychologique par exemple : “Il y a des succès qui prennent la forme d’une panique”. C’est vraiment très fort dans les années 1880, à une époque où les idées de mon grand-père n’étaient pas tellement connues. » Lucian Freud parle aussi métier. Degas, grand dessinateur. Degas, maître du pastel. On le dirait inventé pour lui. Afin, me semble-t-il de donner le pouvoir de rendre la chair même grâce aux 1 600 nuances de la boîte. Freud, quant à lui, préfère les ressources de la peinture.

Le monotype joue tout autrement sa partie. Le blanc et le noir, celui de l’encre et de la toison pubienne de toutes les prostituées, cuisses largement écartées, dont Picasso collectionnait les planches.

La pointe-sèche saisit, dans maintes sorties de bain, la jambe engagée à l’extérieur de la baignoire – dont Degas conservait à l’atelier le « modèle ». Une servante, d’un drap de bain tendu, met en relief les lignes du corps qui s’inscrivent sur la surface blanche. Sur le même sujet le pastel n’appelle pas le regard sur le fessier, mais sur la texture de la peau, du dos. L’érotisme fait place à la sensualité.

Lucian Freud fait allusion à son grand-père. Il nous incite ainsi à nous poser la question : qui était Degas au-delà de ce qu’il dit, au-delà de ses motifs chers répétés ? Sur une photographie, la parodie de l’Hommage à Homère d’Ingres. On voit Degas, entouré des deux enfants Halévy à ses genoux. Mais le peintre paraît loin, comme étranger à cet hommage.

Les Goncourt sont incisifs à son égard. Plus intéressant, le jugement de Van Gogh. Il est à Arles. Il écrit le 5 août 1880 à son « copain » le peintre Émile Bernard à qui il vante Ver Meer : 

« Pourquoi dis-tu que de Gas bande mal. De Gas vit comme un petit notaire et il n’aime pas les femmes, sachant que s’il les aimait et les baisait beaucoup, cérébralement malade il deviendrait inepte en peinture. […] Il regarde les animaux humains plus fort que lui bander et baiser, et il les peint bien justement parce qu’il n’a pas tant que ça la prétention de bander. »

Artemisia, les historiens nous en apportent les preuves, vivait dans la luxure. Artemisia, un prénom rare, une figure chargée d’harmoniques. Diane et toutes les figures qu’on lui a données, ou même une plante, l’Armoise que l’on rencontre aux premières pages de Locus Solus. Raymond Roussel nous fait souvenir que l’artemisia maritima dont Echenoz rappelle qu’« absorbées en quantité minime, sous la forme d’un médicament jaunâtre nommé semen contra, les fleurs séchées de cette radiée constituent un très actif emménagogue ».

Le sang marque Artemisia la violée. Le sang, le peintre n’en est pas économe. Placés côte à côte, le Judith et Holopherne du Caravage et le tableau (présent à l’exposition) d’Artemisia sur le même sujet. La différence est éclatante. Là le sang est figuré par cinq droites, cinq jets rectilignes. Ici, le sang a coulé partout maculant la literie. Est-ce une vue plus « réaliste », comme on le dit ? Ou, comme on le dit aussi, la trace de l’autre chose non montrée ?

Mais sur le même thème, dans les mêmes années, Artemisia ignore le sang et s’attache à la lumière qui modèle les seins.

Et, toujours dans le même temps, Artemisia peint des tableaux sur un thème classique comme Bethsabée au bain. Le velouté des chairs de Bethsabée contraste avec l’ocre du corps de la servante dont le bas est dissimulé. Une nouvelle énigme s’ouvre dans ce rapport.

Cent ans plus tôt, Maurice Scève avait écrit, définitivement, ce qu’il y avait à lire sur le corps nu de Bethsabée :

« Tout jugement de cette infinité
Où tout concept se trouve superflu
Et tout aigu de perspicuité
Ne pourraient joindre au sommet de son plus
Car seulement l’apparent du surplus,
Première neige en son blanc souveraine
Au pur des mains délicatement saines
Ahontirait le nu de Bethsabée
Et le flagrant de sa suave haleine
Appourrirait l’odorante Sabée. » 

Georges Raillard

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