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Les romans de la rentrée

Voici, parmi les six cent-quarante six ouvrages qui vont se déverser d’ici quelques semaines sur les tables des libraires, une sélection de fictions, écrites à l’origine en français ou traduites.
Voici, parmi les six cent-quarante six ouvrages qui vont se déverser d’ici quelques semaines sur les tables des libraires, une sélection de fictions, écrites à l’origine en français ou traduites.

ECRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE

Le roman le plus attendu, peut-être, de la rentrée littéraire 2012 est aussi celui qui se fera le plus attendre : le nouveau roman de Patrick Modiano (L’Herbe des nuits, Gallimard) devrait paraître à la mi-octobre. Le narrateur part à la recherche d’une jeune fille qu’il a connue autrefois et qui a disparu dans des circonstances étranges. Dans un autre livre nourri de la jeunesse de son auteur, Amin Maalouf (Les Désorientés, Grasset) se rappelle qu’il partageait avec ses amis la croyance en un monde meilleur. Benoît Duteurtre (À nous deux, Paris !, Fayard) prend comme personnage principal un provincial désirant étancher dans la capitale sa soif de modernité.

Dans Millefeuille (P.O.L), Leslie Kaplan brosse le portrait d’un vieil homme qui tourne sans cesse autour de lui-même. Un autre personnage entend au soir de sa vie des voix diverses dont l’une a la puissance et l’éphémère d’une averse d’été (Françoise Jacob, L’Averse, Gallimard). Dans Une partie de chasse (Agnès Desarthe, L’Olivier), un homme se remémore son passé avant qu’un (véritable) déluge lui permette d’en faire enfin table rase. Le héros de Linda Lê (Lame de fond, Christian Bourgois) est dans une situation plus radicale encore puisque, enfermé dans son cercueil, il a enfin tout loisir de faire le point sur sa vie.

Il y a aussi le parcours d’une jeune femme en quête d’elle-même (Isabelle Pestre, La Rencontre, Belfond) ou ce qui se présente comme un roman de formation (Jean Mattern, Simon Weber, Sabine Wespieser), sans oublier l’itinéraire insolite d’un homme ballotté par l’Histoire (Jean-Michel Guenassia, La Vie rêvée d’Ernesto G., Albin Michel).

Philippe Claudel, dans Parfums (Stock), propose une autobiographie originale, fondée sur les seuls souvenirs olfactifs. Dans son Autobiographie des objets (Seuil), François Bon envisage sa vie à travers celle des objets qui ont compté pour lui. Chacune blesse, la dernière tue nous rappelle Anne Rabinovitch (Alma) : il s’agit des heures (omnes feriunt, ultima necat), mais c’est en moins d’une seconde que se joue une vie.

Un petit pas hors de soi et on tombe dans la famille. Isabelle Desesquelles (Un homme perdu, Naïve) raconte l’histoire d’un enfant que sa mère a enfermé parce qu’il n’aurait pas dû naître. Dans Laisser les cendres s’envoler (Léo Scheer) de Nathalie Rheims, une femme se souvient, des années plus tard, du jour où sa mère l’a abandonnée. Quant à Pauline Klein (Fermer l’œil de la nuit, Allia), elle ne se souvient d’avoir vu son père que trois ou quatre fois. L’Ombre en soi de Jean Grégor (Fayard) est le roman de l’enquête menée par l’auteur sur des lieux fréquentés par son père, le journaliste Pierre Péan. Sandrine Charlemagne (Mon pays étranger, La Différence) relate un voyage-pèlerinage en Algérie, où est né son père.

Jeanne Cordelier, l’auteur de La Dérobade (1976), rend hommage à ses frères et sœurs moins gâtés qu’elle par la vie (Escalier F, Phébus). Dans L’homme qui aimait ma femme (Stock), Simonetta Greggio parle de deux frères amoureux de la même femme. Le livre de Douna Loup, Les Lignes de ta paume (Mercure de France), est fait du dialogue entre une jeune fille et une vieille femme qui lui raconte sa vie. Dans Le Parieur d’Alexis Salatko (Fayard), le héros se laisse mourir de froid quand surgit une femme qui exige de tout savoir de lui. À l’abri du déclin du monde (François Cusset, P.O.L) s’interroge, en quatre monologues, sur ce que quatre amis sont devenus (premier roman). Philippe Djian (Oh…, Gallimard) fait vivre une narratrice que son ancien agresseur continue de menacer. Avant de mourir, Hélène (Pierre Chazal, Marcus, Alma) confie son fils à son meilleur ami (premier roman).

Sous les yeux de la femme qui l’aime, Blaise, cinquante ans, atteint d’une maladie rare, se transforme soudain en homme-machine plongé dans le coma (Cécile Guilbert, Réanimation, Grasset). L’Ardeur des pierres de Céline Curiol (Actes Sud) est un roman de l’apprivoisement, de l’autre comme de soi, avec le Japon en toile de fond. Julien Capron (Trois fois le loyer, Flammarion) raconte l’histoire d’un couple qui a commis l’erreur de croire qu’il faut faire ce qu’on aime dans la vie, tandis que L’Amour sans le faire (Serge Joncour, Flammarion) est une histoire de tendresse en même temps qu’un hymne à la nature.

D’après La Première Défaite de Santiago H. Amigorena (P.O.L), le premier amour ne serait jamais que le prélude de ce qu’énonce le titre. Dans le roman épistolaire Le vase où meurt cette verveine (Frédérique Martin, Belfond), Zika et Joseph sont contraints à la séparation après cinquante-six ans de vie commune. Parfois, l’amour prend une orientation plus licencieuse, comme dans ce parcours énigmatique constitué de scènes érotiques qu’offre Petite table, sois mise ! (Anne Serre, Verdier).

Soi, les autres, le monde… De retour dans la banlieue de son enfance, le héros des Lisières (Olivier Adam, Flammarion) se confronte au monde qui l’a construit et qu’il a fui. Avec Partages (Mercure de France), Gwenaëlle Aubry nous donne un roman sur la communauté et sur la séparation. Dans Les Derniers Jours de Smokey Nelson de Catherine Mavrikakis (Sabine Wespieser), quatre voix alternent pour évoquer celui dont l’exécution est prévue le 15 août 2008 au pénitencier de Charlestown. Un amour au pied du Mur de François Salvaing (Écriture) se situe au cours de l’été 1989, peu avant que le mur de Berlin s’effondre ; l’auteur est attentif aux points de vue divergents de ses personnages.

Dans Libellules, recueil de textes courts de Joël Egloff (Buchet/Chastel), un écrivain porte un regard sensible et amusé sur ce qui l’entoure. Le narrateur de L’Hiver des hommes de Lionel Duroy (Julliard) s’intéresse de longue date aux enfants de criminels de guerre. Patrick Deville (Peste et choléra, Seuil) consacre son livre à un savant (découvreur du bacille de la peste) doublé d’un grand voyageur. Dans Le Parti des coïncidences (Mohamed Boudjedra, Alma), un architecte doit être en mesure de construire des logements qui influencent la vie de leurs habitants.

Thierry Beinstingel (Ils désertent, Fayard) confie à une jeune femme la mission de licencier celui qu’on appelle l’ « ancêtre ». Nathalie Démoulin (La Grande Bleue, éd. du Rouergue) décrit, sur fond d’années 1970, le destin d’une ouvrière et de ses proches. Le premier roman de Lancelot Hamelin (un roman d’amour) se déroule pendant la guerre d’Algérie (Le Couvre-feu d’octobre, Gallimard). Rue des voleurs (Mathias Énard, Actes Sud) met en question, à l’heure du printemps arabe, le fait d’avoir vingt ans et les promesses qui vont avec.

Ciseaux de Stéphane Michaka (Fayard) est une fiction à quatre voix inspirée de la vie de Raymond Carver. Les personnages de Virtuoses (Max Genève, éd. Serge Safran) sont des artistes qui jouent leur partition sans faiblir jusqu’à un certain jour de septembre 2001. À propos de musique, Bruno Le Maire (Musique absolue. Une répétition avec Carlos Kleiber, Gallimard) imagine un entretien avec un instrumentiste qui lui fait mieux connaître un chef d’orchestre de génie (premier roman). Dans Prince d’orchestre de Metin Arditi (Actes Sud), il s’agit aussi d’un chef d’orchestre, conduit à emprunter le chemin tortueux qui le mènera au cœur de la musique. Olivier Bouillère (Le Poivre, P.O.L) pose la question suivante : comment, pour une ancienne vedette, revenir sous les feux de projecteurs dont on s’est détourné ? Les nouvelles d’Alain Fleisher (Conférenciers en situation délicate, Léo Scheer) sont autant de scénarios de films burlesques.

Art, sciences, philosophie… Olivier Dutaillis (Le jour où les chiffres ont disparu, Albin Michel) raconte l’histoire d’une jeune virtuose qui doit interrompre sa carrière pour avoir contracté une singulière maladie : la mathématopathie aigüe. Théorème vivant de Cédric Villani (Grasset) est le récit de la genèse d’une avancée mathématique. Tristan Garcia, avec Les Cordelettes de Browser (Denoël), écrit une fable philosophique qui imagine les conséquences de l’hypothèse selon laquelle le temps s’arrêterait.

La folie rôde parfois. La prétendue folie de ceux qu’on appelle encore parfois des « idiots » parce qu’ils ne sont pas capables de vivre comme les autres (Max Monnehay, Géographie de la bêtise, Seuil). Claro (Tous les diamants du ciel, Actes Sud) met en scène un personnage de « fou » en même temps que la face cachée de l’utopie psychédélique. Folie ou passion plutôt, Joy Sorman (Comme une bête, Gallimard) propose l’histoire d’un jeune homme qui aime les vaches au point de devenir boucher. Christophe Donner (À quoi jouent les hommes, Grasset) s’arrête sur cette autre passion qu’est le jeu. Dans L’Effrayable (La Différence, premier roman), Andréas Becker maltraite la langue pour tenter de nous faire vivre la folie de l’intérieur.

L’écrit comme objet de lui-même. Acharnement de Mathieu Larnaudie (Actes Sud) a pour sujet l’inaptitude de la parole à prendre en compte ce qui survient. À travers l’histoire d’un « livricide » (un tueur de livres), Patrice Delbourg (Les Chagrins de l’Arsenal, Le Cherche-Midi) fait une véritable déclaration d’amour à la littérature.

ECRIVAINS TRADUITS

Commençons par La Table des autres de Michael Ondaatje (trad. de l’anglais par Michel Lederer, L’Olivier), qui relate un épisode de la vie de l’auteur, quand il avait onze ans : une traversée de trois semaines en mer, parenthèse enchantée dans sa vie. Tenant, comme ce premier livre, davantage du récit que de la fiction, La Moitié d’une vie de Darin Strauss (trad. de l’américain par Aline Azoulay-Pacvon, Rivages) peut se résumer ainsi : l’année de ses dix-huit ans, l’auteur a percuté mortellement une jeune cycliste. Dans Un voyage en Inde de Gonçalo M. Tavares (trad. du portugais par Dominique Nédellec, éd. Viviane Hamy), le héros part à la recherche du sens de la vie et diffère toujours son retour.

Le personnage principal du Monde à l’endroit de Ron Rash (trad. de l’américain par Isabelle Reinharez, Seuil) est un jeune homme de dix-sept ans en perpétuel conflit avec son père. Dans 70 % acrylique 30 % laine de Viola Di Grado (trad. de l’italien par Nathalie Bauer, Seuil), une mère et sa fille se sont peu à peu enfermées dans un mutisme total. Carin Clevidence dédie La Maison de Salt Hay Road (trad. de l’américain par Cécile Arnaud, Quai Voltaire) à l’ambivalence des rapports frères-sœurs et à la cohabitation cahin-caha de trois générations.

Dans Le Peintre et la Jeune Fille de Margriet de Moor (trad. du néerlandais par Annie Kroon, éd. Libella), deux êtres marginaux fusionnent par la puissance de l’art. Les Quatre Livres de Yan Lianke (trad. du chinois par Sylvie Gentil, éd. Philippe Picquier) sont autant de manières de dire la folie des hommes. Coupables (trad. de l’allemand par Pierre Malherbet, Gallimard) est un recueil de Ferdinand von Schirach : quinze nouvelles, autant de livres et de procès.

L’Histoire est très présente. Dans Home (trad. de l’américain par Christine Laferrière, éd. Christian Bourgois), roman de la rédemption, Toni Morrison plonge ses lecteurs dans l’Amérique des années 1950. Jonathan Dee fait le portrait d’une gigantesque machine à rêves : l’Amérique des années 1980-1990 (La Fabrique des illusions, trad. de l’américain par Anouk Neuhoff, Plon). Keith Scribner, dans L’Expérience Oregon (trad. de l’américain par Michel Marny, éd. Christian Bourgois), s’interroge sur les mouvements extrémistes de la côte Ouest des États-Unis. Ville des anges (trad. de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Seuil) de Christa Wolf (disparue en 2011) est consacré à Los Angeles.

La Capitana d’Elsa Osorio (trad. de l’espagnol par François Gaudry, éd. Métailié) s’inspire de la vie réelle d’une femme qui a commandé une milice lors de la guerre civile d’Espagne. 35 Morts de Sergio Àlvarez (trad. de l’espagnol par Claude Bleton, Fayard) parcourt l’histoire de la Colombie pendant les quatre dernières décennies. Avec cette chronique de la vie des humbles que constitue Livro (trad. du portugais par François Rosso, Grasset), José Luís Peixoto signe le roman de l’émigration portugaise en France. Dans 1948 (trad. de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, Fayard), Yoram Kaniuk interroge le jeune homme, survivant d’une guerre, qu’il a été en cette année-là. Au début du XXe siècle, des Japonaises ont quitté leur pays pour épouser aux États-Unis un homme qu’elles n’avaient pas choisi ; c’est le thème de Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka (trad. de l’américain par Carine Chichereau, éd. Phébus).

Terminons par un ouvrage qui ne relève pas principalement de la fiction, Joseph Anton Mémoires, de Salman Rushdie (trad. de l’anglais par Gérard Meudal, Plon), où l’auteur essaie de répondre à cette question : comment un écrivain et sa famille traversent-ils neuf années sous la menace constante de se faire assassiner ? 

Thierry Laisney

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