Louis Simpson

Le poète Louis Simpson vient de mourir à New York. Depuis l’école primaire à la Jamaïque où il était né, il s’était pris de passion pour la culture française et rêvait de la France. Il y était a...

Le poète Louis Simpson vient de mourir à New York. Depuis l’école primaire à la Jamaïque où il était né, il s’était pris de passion pour la culture française et rêvait de la France. Il y était allé, en effet, à vingt et un ans, sur une plage de Normandie, le 6 juin 1944. C’est là, dit un de ses premiers poèmes, qu’avec la peur, il avait « su ce que la mort peut faire », souci qui ne le quitterait plus jamais :

… La vieille fille de la mort

Frôle les lattes minces du mur

Et frappe à la porte où l’on vit seul.

Blessé à Bastogne, il avait été évacué dans la région parisienne puis, de retour aux États-Unis, il avait connu l’hôpital psychiatrique, comme beaucoup d’autres soldats traumatisés. Enfin, en 1949, il avait pu revenir étudier à la Sorbonne. Après ses études, il avait travaillé dans l’édition puis enseigné, successivement à Columbia, à Berkeley et finalement à Stony Brook. Toute une vie jalonnée de recueils de poésie et quelques livres de prose. Prix de Rome, prix Pulitzer, Académie des arts et des lettres. Avec tous ces honneurs, il n’était pourtant pas tendre pour le mode de vie américain.

Pas question d’en sortir.

Tu es né pour rater ta vie.

Tu es né pour cette vie de classe moyenne

Comme d’autres avant toi

Étaient nés pour défiler en procession

Jusqu’à l’église en chantant.

On l’avait vu aux côtés de Robert Bly et d’Allen Ginsberg parmi les écrivains protestataires contre la guerre du Vietnam. Plus tard, il s’était fait le chroniqueur tout à la fois amène et sarcastique de cette vie de classe moyenne qu’il connaissait si bien. Poète, il n’était pas pessimiste ; homme, il n’était pas mélancolique au quotidien mais un peu « dans la lune ». Ceux qui l’ont bien connu abondent en anecdotes le concernant : Louis en survêtement et baskets à la réception du Président de la République parce qu’Air France a égaré ses bagages ; dans une chambre d’hôtel de Bucarest, Louis voulant changer lui-même une ampoule monte sur une table, trébuche, s’accroche au lustre et arrache une partie du plafond ; au festival de Struga, lorsque vient son tour de lire, Louis se prend dans le rideau de scène dont il faut venir le délivrer… Modeste et fraternel, plein d’imprévu et plein d’humour, Louis Simpson est un poète majeur, un de ces hommes qu’on n’oublie pas et qui cachait derrière son sourire une inquiétude métaphysique pour le monde et pour lui-même qu’avoue encore un de ses derniers poèmes :

… au-delà… les espaces infinis,

l’éternité, oui.

Il n’y a rien entre moi

et tout cela, rien de rien.

En 1996, Nombres et Poussière, un choix de ses poèmes a paru à l’Atelier La Feugraie (d’où sont extraites les citations précédentes). Louis Simpson avait aussi composé une anthologie de poésie française et traduit notamment Les Mamelles de Tirésias d’Apollinaire et les poèmes de François Villon. La littérature a perdu un authentique poète et la France un véritable ami.

Serge Fauchereau

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