Venait de paraître

Article publié dans le n°1037 (01 mai 2011) de Quinzaines

Il est probable que beaucoup d’adolescents des années cinquante qui commençaient à s’intéresser à la littérature d’alors ont eu l’Histoire du Surréalisme de Maurice Nadeau parmi leurs p...

Il est probable que beaucoup d’adolescents des années cinquante qui commençaient à s’intéresser à la littérature d’alors ont eu l’Histoire du Surréalisme de Maurice Nadeau parmi leurs premières lectures. On y prenait connaissance de noms, de titres, de faits et d’hommes qui avaient combattu maintes idées de leur temps. Certes. On y apprenait assurément aussi une manière, un ton, ne faut-il pas dire une méthode ? Elle consiste à exposer ce qu’on sait, ce qu’on a repéré de significatif dans une période ou une œuvre, sans avancer de jugement péremptoire. Si un jugement est nécessaire, il est laissé au lecteur le soin de le formuler, d’où de nombreuses et utiles citations des œuvres présentées qui le mènent dans un certain sens mais non sans la possibilité de récuser ce que lui suggère le présentateur. Il semble bien qu’à l’époque, cela ne passait pas pour recommandable. Au lendemain de la parution du livre, un compte-rendu intelligent que Jules Monnerot reprendra dans la réédition de La Poésie moderne et le Sacré, au demeurant très bon exposé du surréalisme d’André Breton, assure qu’il était « trop tôt pour écrire une histoire du surréalisme » et que cette histoire que rapporte Maurice Nadeau ne tient pas compte de l’origine ni de ce qu’il appelle le « pittoresque personnel » de chacun des surréalistes, non plus que des adhérents fugaces et des « météores féminins »… Je crains que cette méthode-là nous aurait donné une histoire par trop anecdotique ou un retour à la vieille critique biographique qui sévissait depuis le lycée. Le sévère Monnerot, qui semble pourtant croire que le mouvement surréaliste sera éternellement vivant, reproche sur près d’une page à Maurice Nadeau d’avoir oublié de discuter d’une bagarre, « la plus significative » selon lui, provoquée par un groupe de surréalistes offusqués qu’une boîte de nuit d’avant-guerre ait osé s’appeler Maldoror. Même si on accepte de faire grand cas du sens du sacré au sein du surréalisme, ne vaut-il pas mieux le chercher dans les œuvres elles-mêmes ? Le fait que René Char ait ce jour-là reçu un coup de couteau est sans doute regrettable mais n’a pas plus d’importance que la teinture verte que Baudelaire s’était une fois passée sur les cheveux. On reconnaît avec Monnerot que le livre ne s’arrête pas à la photographie de Benjamin Péret insultant un prêtre, mais il nous est dit que le poète ira se joindre aux combattants républicains espagnols, ce qui a au moins autant de signification. Des anecdotes, Monnerot ne pouvait pas savoir, il est vrai, que grands et petits surréalistes finiraient par en publier des volumes, pour le plus grand profit des nombreuses histoires du surréalisme qui les reprennent depuis lors.

Première en date, l’Histoire du Surréalisme de Maurice Nadeau reste toujours essentielle précisément parce qu’elle n’a pas trop insisté sur les détails transitoires et négligé le « pittoresque personnel ». Le livre ne venait pas trop tôt mais bien à point, car un historien ne fait jamais que l’histoire du moment où il écrit. Quoi qu’il en soit, on sait que, débarrassée de la vulgate qui fige un mouvement, surtout s’il est d’une longévité exceptionnelle, la discrimination finit par se faire entre les faits significatifs et les bisbilles, entre les œuvres périmées et les œuvres toujours vives – ou du moins celles qui seront jugées telles alors.

Où en étais-je ? Aux adolescents des années cinquante, parce que je les ai bien connus. Si la nourriture que proposaient les revues d’avant-guerre leur semblait insuffisante, ils pouvaient satisfaire leur appétit avec une revue récemment lancée par Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles. On lisait là, je vous assure, ce qu’on ne lisait pas ailleurs : Samuel Beckett et ses « textes pour rien », des inconnus comme Malcolm Lowry, Walter Benjamin, Bruno Schulz dont on était définitivement épaté, le marquis de Sade et des poètes oubliés de la Renaissance, de petites études pénétrantes de la vie quotidienne d’un certain Roland Barthes, et des pages d’actualités comme autant de coups de pied dans la fourmilière socio-politique du moment… Tout cela et notamment cet intérêt pour la culture étrangère, venait d’un premier étage de la rue de l’Université, porte de gauche – celle de droite ouvrait sur le bureau des Temps Modernes de Jean-Paul Sartre. C’était le temps des revues ; on les gardait, on y relisait ceci ou cela. Aujourd’hui, les revues, comme les journaux, sont destinées à un lectorat maximum et une consommation immédiate ; ce n’est ni mieux ni pire : on y apprend autre chose, autrement. Les Lettres Nouvelles ont tout de même duré près d’un quart de siècle et deux générations, mais bien avant leur disparition, Maurice Nadeau avait deviné qu’une nouvelle formule serait nécessaire et dès avril 1966 a paru La Quinzaine littéraire. À suivre.

Serge Fauchereau

Serge Fauchereau