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Rimbaud dessinateur

    À une époque où dans les familles on avait un joli coup de crayon, Arthur Rimbaud dessinait mal. Mais son horizon était-il celui d’une famille ? Charleville, Charlestown, Mother, une mère autoritaire, un père absent, des sœurs, un frère dont on ignore s’il savait dessiner puisqu’il n’était pas poète. Les biographes se sont moins intéressés à Frédéric qu’à Arthur. Dans tous les entre-deux-portes, c’est bien lui sur la photo. La dernière trouvaille, c’est bien lui. N’y revenons pas.
Jean-Jacques Lefrère
Les dessins d'Arthur Rimbaud
    À une époque où dans les familles on avait un joli coup de crayon, Arthur Rimbaud dessinait mal. Mais son horizon était-il celui d’une famille ? Charleville, Charlestown, Mother, une mère autoritaire, un père absent, des sœurs, un frère dont on ignore s’il savait dessiner puisqu’il n’était pas poète. Les biographes se sont moins intéressés à Frédéric qu’à Arthur. Dans tous les entre-deux-portes, c’est bien lui sur la photo. La dernière trouvaille, c’est bien lui. N’y revenons pas.

Un peu auparavant Jean-Jacques Lefrère avait publié un livre plaisant, très bien habillé – noir et rouge – qu’on regarde, qu’on lit avec plaisir. Même si tout n’y est pas, ainsi la reproduction en 1961 par Pascal Pia de la totalité de l’Album dit « zutique », « conneries ».

L’ouvrage se divise en trois parties :
1. – Dessins dont Rimbaud est l’auteur incontestable
2. – Dessins dont Rimbaud n’est pas l’auteur incontestable
3. – Dessins dont Rimbaud n’est pas l’auteur.

La première partie, dévotion mise à part, peut à elle seule soutenir notre intérêt. On regarde. Caricatures, croquetons. Complément de l’écrit ? Clef ? On hésite. On s’arrête, on lit. Certaines lettres sont plus riches que d’autres de dessins, sans que le profit soit beaucoup plus grand.

Ainsi la lettre à l’ami Delahaye de mai 1873. Cette lettre a été écrite de Roche où Madame Rimbaud possède une propriété agricole. La première page, après l’adresse à Delahaye, est tout entière occupée par un dessin. Le poète s’est représenté en paysan, camisole, gros bâton à la main, pipe, bonnet, godillots foulant des herbes hautes sous l’esquisse d’un arbre défeuillé. Rimbaud commente : « Tu vois, dit-il à son ami, mon existence actuelle dans l’aquarelle ci-dessous. »

« Ô Nature, Ô ma mère ». Ces mots « Ô Nature » sont répétés en oblique sur le fond du dessin, accompagnés d’abord de « Ô ma sœur », puis de « Ô ma tante ». Que les érudits déchiffrent !

La deuxième page développe la « chierie » : le bistro très loin, la Mother trop près. Un seul dessin : cinq maisons semblables représentent le village. « À vrai dire, écrit Lefrère, ce petit groupe de maisons hâtivement gribouillées ne représente pas grand-chose. » Delahaye qui ne connaissait pas l’endroit aurait pu s’y perdre.

Lefrère est sévère à l’égard des dons graphiques de Rimbaud. De la lettre à Delahaye de février 1875, il invite à penser qu’elle n’est pas de quelqu’un de « parfaitement à jeun ». C’est la lettre envoyée à Stuttgart où Rimbaud doit retrouver son ancien compagnon qui l’a atteint d’un coup de revolver à l’automne 73 après l’achèvement d’Une Saison en enfer.

Le début de cette lettre est célèbre : « Verlaine est arrivé ici l’autre jour, un chapelet aux pinces… Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les 98 plaies de Notre Seigneur. »

La lettre est courte. Le texte est encadré de dessins où dominent les bouteilles de Riesling (d’où sans doute l’allusion à un scripteur éméché).

L’ensemble, texte plus dessins, constitue un véritable cryptogramme : la fin est en langue singulière. Un nom, Wagner, est planté comme un poteau indicateur au milieu de la lettre. Il se retrouve, dans la marge, accompagné d’une inscription en majuscules : « Wagner damné pour l’éternité. » En allemand, la seule phrase en allemand que l’on connaisse de Rimbaud.

On ne saurait tout décrire. Bornons-nous au personnage qui s’élonge dans la marge : une tête animale, sous le bras un pain, une bouteille de Riesling dans le derrière et un vit, au repos, jugé très volumineux. Bouillane de Lacoste, dans sa thèse sur le Problème des Illuminations n’a publié de ce dessin que la tête du personnage, estimant que le reste n’était pas montrable. (« Pas montrable dans une thèse voulait sans doute dire l’impétrant », commente Lefrère.)

Quoi qu’il en soit de ce cas, Jean-Jacques Lefrère est sévère à l’égard des dessins de Rimbaud. Ceux de la lettre de mai 75 sont « extravagants et fort peu soignés, qui tiennent quasiment du graffiti de latrines ». Le commentateur du poète serait-il plus indulgent pour ces vers des Remembrances du vieillard idiot ?

« Quand ma petite sœur, au retour de la classe,
ayant usé longtemps ses sabots sur la glace,
pissait, et regardait s’échapper de sa lèvre
d’en bas, serrée et rose un fil d’urine mièvre… ! »

Les dessins de Rimbaud ne paraissent guère à déchiffrer. Ils n’expliquent pas les mots fameux que nous savons par cœur. Parmi ces « gribouillis », ils prennent une autre inclination, ils se lisent, comme le voulait toujours Rimbaud, en nouveauté. Parfois – une fois – jusqu’à susciter une débâcle des mots, une glaciation du langage. Ainsi d’un dessin sans parole : Civière, un dessin géométrique à la plume (27/21). Rimbaud avait dessiné le modèle de la civière qu’il rapporta du Harrar en France, en 1891. Il souffre, seize nègres le portent, payés quinze thalaris.

Je n’ai rien dit des dessins dont Rimbaud n’est pas l’auteur incontestable ni de ceux dont Rimbaud n’est pas l’auteur. La difficulté de lier les mots et les vrais dessins de Rimbaud suffit à la tâche. Pour en évaluer le rôle on peut comparer cet ensemble à celui réunit et commenté par Philippe Sollers dans L’Œil de Proust (Stock, 1999). L’œil de Sollers est pénétrant. Il met au jour des parentés entre les dessins et les personnages du Roman. Elles sont souvent plaisantes et justes. Néanmoins les derniers mots de Sollers sont « 2000 : il serait temps de relire Proust. » Temps aussi de relire Rimbaud.

Georges Raillard

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