A lire aussi

Croire est un élan et un vertige. Entretien avec Philippe Le Guillou

Article publié dans le n°1161 (14 nov. 2016) de Quinzaines

Luc Vigier : Philippe Le Guillou, dans vos œuvres la question de la croyance semble installée depuis l'enfance comme une évidence, à demeure. Vos personnages, à défaut d'avo...

Luc Vigier : Philippe Le Guillou, dans vos œuvres la question de la croyance semble installée depuis l'enfance comme une évidence, à demeure. Vos personnages, à défaut d'avoir la foi, ont toujours foi en quelque chose ou en quelqu'un. 

Philippe Le Guillou : C’est une constante, en effet, de mon univers. Les personnages que je mets en scène ont tous des points d’ancrage, des fidélités, une forme d’arrimage mythique ou spirituel à quelque chose qui les dépasse et les exhausse. Cette nécessité de croire, ou d’admirer, ou simplement d’aimer, ne se réduit pas à la seule dimension religieuse. Et lorsque cette dimension est présente, chez mes personnages de papes par exemple, on est plus proche d’une ardeur mystique que d’une croyance béate et niaise. Croire est un élan, une mise en mouvement, mais un vertige aussi, un chemin semé d’aspérités, tortueux, souvent obscurci. C’est cela qui anime le romancier. La croyance est une brèche, une sorte d’appel d’air parfois vigoureux et dévastateur. Je ne saurais me contenter d’un monde stable et ordonné. Et cette nécessité de croire bouscule, perturbe, plus qu’elle ne met en ordre. Oui, ces personnages croient, en la lumière de la transcendance, en des valeurs fortes, en des êtres qui ont une sorte de vertu rédemptrice, en un réseau de fidélités qui traverse l’émiettement des jours. 

L. V. : Impossible de définir un personnage de fiction sans cette donnée fondamentale de la conscience ?

Ph. L. G. : Dans mon cas, oui. Mais le jeu des figures romanesques est inépuisable. Disons que la forme initiatique – de cheminement spirituel – que j’ai donnée à nombre de mes fictions rend presque inévitable le recours à cette question de la foi ou de l’interrogation de l’ailleurs. Je le redis, j’aime la présence de cette béance, de cette fracture aussi parfois, qui fait que les personnages sont entraînés, souvent contre leur gré, au dehors, au-delà d’eux-mêmes. La croyance est inséparable du doute, de l’obscurcissement, d’une certaine évidence qui se dérobe. C’est ce qui la rend, au plan romanesque, si stimulante et si féconde. On est souvent plus proche du tourbillon et de la tempête que de la stabilité plane… 

L. V. : Êtes-vous devenu, au fil de vos presque trente romans, essais et récits (y compris sur la figure de Jésus et de certains saints), un anthropologue assidu des territoires religieux ? Parce que, si votre territoire majeur est celui du catholicisme, il me semble que d'autres religions ont attiré votre attention. 

Ph. L. G. : La souche de mon territoire, c’est le catholicisme.  Et nombre de mes livres parcourent et explorent ce territoire. C’est comme un sceau, une marque de fabrique, un signe consubstantiel et essentiel. Il y a chez moi une fascination pour le catholicisme romain, son faste et ses pompes, mais je suis aussi fondamentalement marqué par le christianisme celtique qui a recouvert, sans jamais l’effacer vraiment, le terreau des adorations primitives. C’est ce qui rend sans doute mon christianisme mêlé, impur, mais romanesquement plus riche ! Ces scories, où se glisse une fascination pour le monde élémentaire, sont autant de ferments pour la fiction. C’est peut-être avant tout l’émotion religieuse qui m’intéresse, la fascination devant la polyphonie des expressions du sacré, et je la ressens devant un retable baroque, le baptistère de l’église de mon village natal, des pierres christianisées à la croisée des chemins, un cairn aux inscriptions indéchiffrables, les vaguelettes de graviers d’un jardin sec dans un temple japonais. Tout cela constitue un bric-à-brac ou un continuum – ce n’est pas à moi de le dire – mais demeure, au centre, la même interrogation, le même questionnement du Très Haut ou de l’Ailleurs. Aller voir ailleurs, plus loin, très loin, ce n’est en rien, à mon sens, renoncer à ses fidélités électives et fondatrices, bien au contraire. L’anthropologie vue et traitée par un romancier tient souvent du bricolage, de l’expérimentation tâtonnante, et c’est ce qui la rend, à mes yeux, si prompte à nourrir la fiction. 

L. V. : Cela ne se limite pas aux personnages : les lieux sont irrigués par l'idée du culte, du rituel, des symboles, qui alimentent l'imaginaire de toutes les croyances. Ce mélange de la croyance, du culte et du mysticisme ne relève-t-il pas d'une forme de variation sur la foi dans votre oeuvre ? 

Ph. L. G. : Personnages et paysages sont toujours pour moi indissociables, intrinsèquement liés par un jeu d’échos et de rhizomes. En ce sens, mes livres sont comme des carnets de route à travers des paysages modelés par la présence de la foi. Les élans, les effusions, les transes, les proclamations niaises me révulsent. J’aime l’aridité, un silence granitique, une réserve essentielle, un assentiment tacite à la Présence. Les paysages, les traces, les monuments, les reliques constituent alors une opportunité fabuleuse pour dire ce qui doit rester, pour moi, de la certitude enfouie, du socle profond. J’aime ces légendes bretonnes où il est souvent question de statues miraculeuses enfouies dans la terre des labours et des champs. Et l’écriture ne cherche qu’à faire affleurer ces jalons et ces traces, ces présences secrètes, cachées.

L. V. : « Croire dans l’œuvre », voilà qui pourrait définir votre approche de l'art et d'un monde créé, n'est-ce pas ? ou de la fiction romanesque ? 

Ph. L. G. : C’est une formule très juste en effet. Un aveu personnel : dans la longue période agnostique qui a marqué la fin de mon adolescence, je lisais et relisais en pleurant les dernières pages du Temps retrouvé ; la naissance de la vocation, le sens et la nécessité de l’œuvre, me jetaient au bord d’un gouffre. Il y a les croyances personnelles et les dogmes esthétiques. On peut se nourrir de la lecture de l’évangile de Jean – pour moi le plus beau – et de celle du Temps retrouvé. Un artiste qui n’aurait pas cette foi ne pourrait pas créer. Et la création suppose ou impose abnégation et effacement. 

L. V. : Enfin, est-ce que croire, c'est écrire ? 

Ph. L. G. : Disons que, pour moi, croire est inenvisageable sans l’écriture, cette autre forme du don. Et écrire, c’est faire sortir cette statue, cette présence miraculeuse enfouie dans la profondeur des hantises primordiales.

Luc Vigier

Vous aimerez aussi