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Écrivains de la Caraïbe

Article publié dans le n°1128 (16 mai 2015) de Quinzaines

Au quatrième Congrès des écrivains de la Caraïbe, du 15 au 18 avril. Le Conseil régional de la Guadeloupe a subventionné fastueusement cette rencontre, dans un hôtel luxueux, avec sa plage, une ...

Au quatrième Congrès des écrivains de la Caraïbe, du 15 au 18 avril. Le Conseil régional de la Guadeloupe a subventionné fastueusement cette rencontre, dans un hôtel luxueux, avec sa plage, une anse où l’on se baigne avant la grosse chaleur, en compagnie des cargos qui passent, des pélicans à l’affût dans le ciel, des cocotiers. Des iguanes paressent sur les rochers avec lesquels ils se confondent.

La Caraïbe : une région de souffrances indicibles. Qui a pu dire la traite, l’esclavage, la violence raciale et sexuelle dont des millions d’hommes portent aujourd’hui la marque par la couleur de leur peau, leurs traits, les langues qu’ils parlent, leurs noms qui furent ceux des maîtres de leurs ancêtres ? Sans parler des peuples que la conquête a fait disparaître, comme les Caraïbes, justement. La réussite de la rencontre est d’avoir réuni des auteurs venus de Martinique, de Guadeloupe, d’Haïti, de Cuba, de Trinidad, de Porto Rico, de Grenade, de Saint-Domingue, de Jamaïque, mais aussi du continent : Colombie, Venezuela, Guyanes, tous porteurs de ces héritages écrasants, et avides de dire, de trouver une voie pour décrire, raconter, inventer. Ainsi le thème ambitieux, « Voyages, migrations, diasporas », était-il perceptible aux sens et à l’esprit.

Entre les discours, les interventions et les débats, souvent chargés et oiseux, ou trop lyriques, quelques conversations réussies. Avec Simone Schwarz-Bart, guadeloupéenne : le roman de son mari André (mort en 2006), Le Dernier des justes, prix Goncourt 1959, a compté dans ma vie. Elle a jadis écrit un roman avec lui, et vient de publier L’Ancêtre en Solitude (Seuil), à partir de ce qui restait de leur travail en commun, beau roman qui obtient le prix de l’Association des écrivains de la Caraïbe, et qui fait suite à La Mulâtresse Solitude qu’avait publié André en 1972. Aux quelques mots modestes qu’elle prononce pour remercier, elle ajoute une histoire qui lui revient sur le moment, celle du rabbin à qui l’on demande pourquoi la cigogne, qui s’occupe si bien de ses petits, est considérée par la Loi juive comme un animal impur, et qui répond : parce qu’elle ne s’occupe que de ses enfants. Simone, délicieuse petite femme avec des tresses blondes, est douce, calme et comme apaisée. Elle n’oublie pas les douleurs de sa vie, et de la vie des autres.

Je regarde Earl Lovelace, de Tobago, habillé de blanc, bon danseur, à la voix douce, un homme patient lors des débats, et nuancé. L’un de ses romans a été publié en France : La Danse du dragon (Le Serpent à Plumes, 1999). Je l’entends lire en anglais un extrait de Salt (1996), avec une alternance éloquente entre l’écriture britannique surveillée et le patois qui ne peut être oublié (lors du congrès, le créole a eu la parole plusieurs fois).

Yanick Lahens, d’Haïti (Prix Femina 2014 pour Bain de Lune), assiste patiemment et silencieusement aux séances, avec son beau visage, la finesse de sa silhouette. Elle prend pour cela sur son temps d’écriture, me dit-elle, par solidarité, ou par amitié. Elle est gaie, je la vois rire aux tables des repas.

À la fin d’une bien longue séance de lectures, un texte que lit l’auteure, en anglais, me frappe par sa netteté, bien qu’il s’agisse d’un monde troublé : une jeune femme revient à Port-of-Spain, le chauffeur de taxi indien allume la radio qui annonce un assassinat entre Noirs. Il soupire et éteint le poste. Je dis à Oonya Kempadoo que cela m’a plu. – Vous connaissez Trinidad ? – Non, mais j’admire les livres de V. S. Naipaul. – Ah. Pour ce livre (All Decent Animals, 2013), j’avais en tête son roman Miguel Street. Oonya est jeune, mince, née en Angleterre de parents venus de Guyana, avec des origines indiennes, africaines, écossaises et amérindiennes. Elle vit en Grenade. À traduire ?

Pierre Pachet