Chico Buarque et les autres

Article publié dans le n°1124 (16 mars 2015) de Quinzaines

Luiz Ruffato, le « sélectionneur », fait partie lui-même de cette « équipe » de vingt-cinq auteurs d’aujourd’hui, dont chacun a écrit une nouvelle. Il y a de quoi séduire le lecteur français : ces fictions, reliées par des passerelles surprenantes, d’ordre thématique, linguistique ou géographique, permettent un survol de l’histoire récente de la littérature brésilienne.
Luiz Ruffato
Brésil 25
Luiz Ruffato, le « sélectionneur », fait partie lui-même de cette « équipe » de vingt-cinq auteurs d’aujourd’hui, dont chacun a écrit une nouvelle. Il y a de quoi séduire le lecteur français : ces fictions, reliées par des passerelles surprenantes, d’ordre thématique, linguistique ou géographique, permettent un survol de l’histoire récente de la littérature brésilienne.

Pour constituer une équipe performante, il faut chercher une certaine diversité parmi les joueurs. Pour ce faire, Luiz Ruffato, appelé à composer une anthologie d’auteurs contemporains en vue du Salon du livre 2015, avait à sa disposition une pépinière de talents : le Brésil. Comme avec l’édition « collector » d’un DVD, la qualité de ce que l’on voit ici nous rend avides de découvrir les coupures qui ont dû être laissées par terre dans la salle de montage.

En tout cas, les vingt-cinq élus témoignent d’une scène littéraire très riche, et ce, comme l’explique Ruffato dans sa préface, malgré un taux d’illettrisme alarmant dans leur pays. C’est à partir des années 1990, contre toute attente, que la littérature brésilienne a pris son essor, plus de dix ans après la chute de la dictature, quand la transition vers la démocratie a commencé à porter ses fruits.

Si les textes de Brésil 25 datent tous, sans exception, du XXIe siècle, leurs auteurs sont loin d’être tous de la même génération. Chico Buarque, figure tutélaire dans cette compilation, est né en 1944. Un extrait de son roman Budapest figure en premier, suivi de ses confrères par ordre décroissant d’ancienneté, pour terminer avec Luisa Geisler, née en 1991, auteur de la nouvelle « Seul requiem pour tant de souvenirs ». Malgré leur différence d’âge, ces deux écrivains éprouvent une même passion pour les aéroports. Dans Budapest, le narrateur fait une escale imprévue entre Istanbul et Francfort, où il avait une correspondance pour Rio, tandis que, dans la nouvelle de Geisler, l’intrigue déambule entre les aérogares de Dublin, Lyon, Pise, Munich, Barcelone et Manchester. On est loin du Brésil…

Mais, à l’époque de la mondialisation, doit-on s’attendre à autre chose ? Dorénavant, ce qui caractérise une littérature nationale est moins la particularité de son paysage que la langue qui l’exprime, ainsi que ses références culturelles sous-jacentes. Chico Buarque en fournit un bon exemple : comme compositeur-interprète de musique populaire, il est devenu célébrissime dans les années 1960. Il n’a commencé à écrire de la fiction qu’en 1991. Mais les mélodies de ses chansons demeurent un modèle pour ses concitoyens, comme on le voit dans l’une des nouvelles les plus impressionnantes de l’anthologie.

Il s’agit des « Hivers de Bárbara » de Milton Hatoum, tirée d’A cidade ilhada, inédit en français. Les protagonistes, Lázaro et Bárbara, sont des réfugiés politiques brésiliens habitant l’avenue du Général-Leclerc à Paris. Quand le premier est amnistié, ils sont enfin libres de retourner dans leur pays, ce qu’ils font à tour de rôle puisque entretemps ils ont rompu. En regagnant leur ancien appartement à Rio, Bárbara découvre que Lázaro le partage maintenant avec une autre femme. Elle passe le disque qui contient leur chanson en attendant que Lázaro rentre. La nouvelle se termine sur les paroles de Chico Buarque : « Et me venger, à tout prix… ». Comme quoi la musique garde toujours son caractère propre.

Steven Sampson