Correspondance Hantaï-Nancy

Hantaï lisait les philosophes. Deleuze, Derrida… ont été attentifs à cette œuvre dont il serait « malaisé et presque intimidant de parler » (Yves Michaud).
Simon Nancy Hantaï
Jamais le mot "créateur". (Correspondance 2000-2008)
Hantaï lisait les philosophes. Deleuze, Derrida… ont été attentifs à cette œuvre dont il serait « malaisé et presque intimidant de parler » (Yves Michaud).

Voici une « correspondance » entre Jean-Luc Nancy et Simon Hantaï. Georges Didi-Huberman avait sous-titré L’Étoilement (1998) : « Conversation avec Hantaï ». Conversation plus mentale que réelle. On y lisait plusieurs approches du pliage, aboutissant à celle-ci : « Telles sont les voies du pliage : dessiner la peinture – son futur réminiscent – à un étoilement qui soit en même temps son impouvoir relatif et sa puissance absolue. »

La correspondance entre Hantaï et Nancy exclut tout bavardage, elle est réflexive. Pas discoureuse, attentive aux mots, à ce qu’ils veulent dire, à ce qu’on veut qu’ils disent. Sans insister, Hantaï note pourtant qu’à tel moment il est dans le hongrois :

« Ouf !!!
Pour respirer un peu. Le lin, en hongrois : angyalrigta fü. L’herbe qui a reçu un coup de pied de l’ange. »

Quelques paragraphes plus loin : « L’écriture rose est silence, violence avalée » (dans l’exposition, le tableau Écriture rose, 1958-1959).

Ce long mot qui désigne le lin dans la langue maternelle de Hantaï, nous ne pouvons pas le saisir de l’œil, le tenir dans la bouche. Dans le livre, des reproductions des pages écrites par Hantaï peuvent se superposer à des tableaux all-over, à des signes d’une écriture illisible alignée. Ainsi, celle de Sexe-prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset (1956) offre et dérobe son écriture. Pour parvenir où ? Venant d’où ? La deuxième question serait celle du registre de Brisset dans La Grammaire logique (1883) ou De la science de Dieu (1900).

Hantaï rappelle son Hommage, mais ne le commente pas dans cette lettre.

Le titre donné à cette correspondance est « Jamais le mot “créateur”… ». Ce mot est celui que l’on trouve en ouvrant la Science de Dieu : « Le vrai Dieu c’est l’esprit créateur de l’animal hu­main, mais surtout créateur de la Parole humaine. » Pour cette parole, « nous n’emploierons des matériaux inertes. C’est la parole vi­vante qui parlera ».

Breton avait tiré Brisset de l’oubli dans l’Anthologie de l’humour noir (1929-1966). Il montrait la généalogie des acteurs de la révolution du mot : Desnos, Leiris, Michaux, Joyce et aussi la « Jeune École de Paris ».

Pollock fut l’une des références de Hantaï. Dans Brisset : « L’origine de chaque langue est dans cette langue même. » La formation du sexe, sa primauté est dans le verbe être. Le sexe, qu’est-ce ?

Michel Foucault en 1970 publie Sept propos sur le septième ange. Le commentateur de Brisset ignore Hantaï dans ce texte.

Hantaï, dans une lettre du 11 août 2008, écrit à Jean-Luc Nancy : « Hier encore je vous ai parlé de mes difficultés d’écrire en français, sauf imprévu. L’imprévu était un vase émaillé que j’ai cherché contenant, dans mon souvenir, des couleurs en poudre envoyées du Maroc ».

On lira la suite dans ce livre stimulant, ouvert à plus d’un chemin. « Werk ist Weg », l’œuvre est ouverture, disait déjà Klee.

Georges Raillard

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