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Ecrits durs l'art de Michel Leiris

Composé par Pierre Vilar – le neveu de l’historien homonyme –, l’ensemble des écrits de Michel Leiris sur l’art : 666 pages. On y compte, outre les textes de l’écrivain, des bibliographies, mais aussi d’abondants essais du commentateur sur les artistes qui ont retenu l’attention de Leiris. En très petit nombre : André Masson, Joan Miró, Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Wifredo Lam, Francis Bacon, les figures majeures du XXe siècle avec qui Leiris eut des liens d’amitié. C’est moins l’anecdote de ces rencontres que l’on cherchera et trouvera, dans ce fort volume, que la trace de la voix du poète dans le champ de l’art, son exercice, son horizon.
Michel Leiris
Ecrits dur l'art
(CNRS)
Composé par Pierre Vilar – le neveu de l’historien homonyme –, l’ensemble des écrits de Michel Leiris sur l’art : 666 pages. On y compte, outre les textes de l’écrivain, des bibliographies, mais aussi d’abondants essais du commentateur sur les artistes qui ont retenu l’attention de Leiris. En très petit nombre : André Masson, Joan Miró, Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Wifredo Lam, Francis Bacon, les figures majeures du XXe siècle avec qui Leiris eut des liens d’amitié. C’est moins l’anecdote de ces rencontres que l’on cherchera et trouvera, dans ce fort volume, que la trace de la voix du poète dans le champ de l’art, son exercice, son horizon.

Ainsi, parcourons, dans l’ordre d’apparition des artistes, ce précieux recueil à partir duquel nous bâtissons notre anthologie :

Masson

Je retiens cette ouverture d’un texte de 1965 : « Si, appliquant aux arts graphiques, le vocabulaire de la haute couture, on peut parler d’une ligne-André Masson, je la qualifierais de “féline”, autrement dit : souple et griffue, à croire que ce n’est que par bonds et à coups de griffes que cet artiste entend maîtriser sa chimère. »
La ligne et son ciel chez Masson, Leiris ne la quitte pas :
« La ligne filiforme » est toujours un squelette, lit-on dans Métamorphose… »
« Ou, diagramme de la caresse… »
Ou, suivant l’image première : d’un Masson, le tailleur ou le couturier de notre époque pourrait dire publicitairement qu’il a « la ligne jeune » ou encore : « la ligne en flèche ».
Et, formule conclusive :
« Ligne mouvante, ouverte et non qui ferme ou pétrifie. »
Masson, artiste philosophe, lecteur fervent d’Héraclite et de Nietzsche « a fait scénographiquement du thème proprement génétique de la métamorphose l’un des thèmes majeurs de son art dont, au demeurant, la pierre angulaire et de façon tantôt manifeste et tantôt détournée constituée par l’érotisme, mode orgiaque d’effacement des bornes, de moi. » Rien à ajouter. 

Masson-Miró

Miró en 1927, inscrit sur une toile brune marquée d’un imposant cercle rouge les lettres de musique et de Seine puis, en bas du tableau, trois noms qui résonnent encore en nous Michel, Bataille et moi. Miró et Masson avaient, au 45 rue Blomet, à Montparnasse, deux ateliers contigus : celui de Masson, l’a-t-on assez dit, un bric-à-brac, un fourmillement de choses, de livres et d’idées, celui de Miró, d’un ordre ascétique. Un ascétisme apparent derrière lequel on peut percevoir le « fou » me disait-il, bien plus tard.
Les relations de Leiris avec Miró sont différentes de celles qu’il avait avec Masson. Leiris répond en poète au poète-peintre.
Pierre Vilar, dans son étude sur Miró écrit : « le poème offert par Leiris en 1973 pour l’anniversaire de Miró rejoue explicitement, quant au peintre, la scène mallarméenne du vierge, du vivace, et du bel aujourd’hui. Le coq prend la place du cygne sur ce « lac dur oublié que hante sous le givre/le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! ».

Coq sans heures
Il casse les vitres du vide et les fait s’étoiler.
Images noires et couleurs
Peuplant le blanc prêt à nous submerger.
Mais rien qui bouge sauf leurs cris
Et la gifle du coup d’aile pour notre éveil hors du temps. 

Giacometti

Alberto Giacometti serait l’un des très rares artistes en mesure de « répondre à peu près aux exigences de ce vrai fétichisme, c’est-à-dire à l’amour – réellement amoureux – de nous-mêmes, projetés du dedans au dehors » (1927).
À l’Atelier, Leiris observe les sculptures en formation, l’espace qu’elles créent, la façon dont elles fabriquent de l’espace.
« Reprendre l’art comme s’il n’était pas inventé encore, et aussi éloigné de la naïveté feinte que du primitivisme voulu, refaire chaque jour l’immémoriale invention qui restera toujours à faire. 

Picasso

Picasso occupe dans les écrits de Leiris la place majeure. La proximité familiale, Louise Leiris, et le marchand de Picasso, Kahnweiler, y est pour beaucoup. Mais aussi, comme avec Francis Bacon, une sympathie à quoi s’ajoutait une symbiose. Vie commune parfois, horizon semblable, qu’un mot suffirait à pointer : « dire » :
« C’est à l’un des actes les plus spécifiquement humains, dire que Picasso aura, semble-t-il, consacré toute son existence. Certes à l’image de ses grands amis les poètes, il l’a fait souvent avec des mots, qu’il organisait volontiers en textes d’actions théâtrales comme si son goût profond du réel se satisfaisait mieux quand il s’agissait tant soit peu d’une action, soit de quelque chose qui, porté sur les planches et acquérant ainsi une espèce de réalité, peut être vue et presque touchée. »

Wifredo Lam-Francis Bacon

Des origines, des formes, les plus diverses les plus distantes. Réunis par Leiris dans la même attention, « une même écoute attentive, comme l’aura été mon regard ».
Retenir ces derniers mots, c’est se donner le meilleur chemin pour aller vers Leiris et l’écouter regarder.

 

Antoni Tàpies

Antoni Tàpies, né en 1923 à Barcelone, y est mort le 6 février 2012. La Quinzaine littéraire, en décembre 1968, avait publié du grand artiste un texte, inédit en français, « Sommes-nous tous des monstres ? ». Il est réimprimé dans La Pratique de l’art (Gallimard). Nous en donnons ici un bref extrait paru dans le n° 63 de La Quinzaine.
« Ne sommes-nous tous que des monstres ? N’y a-t-il aucun artiste digne de ce nom qui ait jamais été sérieusement habité par les problèmes de la société de son temps, par ses luttes, ses idéaux, ses espoirs, ou qui ne veuille s’unir avec toutes les forces progressistes pour parvenir à sa transformation et à son amélioration ? L’art n’est-il pas la seule possibilité qui reste à l’homme d’appeler les choses par leur nom ? »

Georges Raillard

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