Sur le même sujet

A lire aussi

Eduardo Chillida, sculpteur

À une série de sculptures des années 50, Chillida avait donné pour titre Enclume de rêves (Yunque de sueños). Ces mots de l’artiste basque – dont les carnets de notes et de réflexions ont été traduits par Claude Esteban – sont la plus précieuse ouverture à son œuvre. Ils hantent l’exposition de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence où se plaisait ce « sculpteur devenu forgeron » (Gaston Bachelard).

EXPOSITION
CHILLIDA
Fondation Maeght
06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. : 04.93.32.81.63
2 juin – 13 novembre 2011

À une série de sculptures des années 50, Chillida avait donné pour titre Enclume de rêves (Yunque de sueños). Ces mots de l’artiste basque – dont les carnets de notes et de réflexions ont été traduits par Claude Esteban – sont la plus précieuse ouverture à son œuvre. Ils hantent l’exposition de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence où se plaisait ce « sculpteur devenu forgeron » (Gaston Bachelard).

Chillida a recouru à une dizaine de matériaux : le fer, l’acier, le bois, la terre, le papier, l’albâtre, le granit… S’impose d’abord le fer forgé. Comme Le Peigne du vent il déchire l’espace, le strie, l’ouvre. Jacques Dupin en a parlé au mieux : « Le fer, c’est l’ouverture sur le vide, la sculpture comme événement, mais aussi dans la résistance dressée par le fer, derrière elle, à travers elle, la résistance beaucoup plus redoutable dans son inertie, beaucoup plus féconde dans son attirance que le vide oppose au sculpteur. Le vide n’est pas le néant, mais la matière de l’espace. » Un « espace vivant ».

Octavio Paz, décrivant Chillida « entre le fer et la lumière », notait : « La sculpture de Chillida nous impressionne, au premier abord, par sa matérialité flagrante : plus que des formes de fer ou de granit, ses sculptures sont le fer lui-même, le granit en personne. »

Ici Paz rencontre la sculpture pratiquée par Chillida : « Le retour à la terre fut retour au fer – et celui-ci retour à soi-même. Non à l’ego ni à la conscience personnelle, mais à ce qui est antérieur au moi : l’espace. »

Dans un des textes de l’ensemble réuni jadis par Daniel Abadie au Jeu de paume en 2001 pour la première rétrospective en France de Chillida, Yves Bonnefoy mettait l’accent sur le temps. Les pièces en acier corten en rendent vivante la sensation. Ce matériau apparaît comme la concrétion d’une rouille, une coulure, cette coulure est aussi couleur d’un corps. Elle définit, sans l’arrêter, La Table de l’architecte. Chillida a nommé une suite d’œuvres Éloge de l’architecture. Yves Bonnefoy relevait la place de cette ars aedificandi à la fin de ce millénaire où le poète et l’artiste échangeaient leurs regards, se frayaient chacun sa voie : « Une incitation, bâtie avec cette liberté à nouveau. Bâtir avec de la pierre ou du fer des salles parlant le marbre mais revivant le vent, le ciel, l’eau qui court sur des branches mortes. Des salles qui, de ce fait, incitant à voir plus profond que la supposée profondeur, incitant à vivre dans l’immédiat seraient d’elles-mêmes des temples. »

Dans une Petite réflexion en marge de l’œuvre d’Eduardo Chillida, Edmond Jabès, notait à propos du Temps, la réponse ténue, précieuse, et parfois douloureuse, que « la créature peut faire à l’éternité. L’imaginerait-on ? Un fil rouge débordant la frontière tracée par lui dans l’espace, à peine un tracé, d’un sang si vite noirci, si vite pâli, qu’à un certain moment, on ne distingue même plus. Frontières du visible et de l’invisible. » Chillida était un dessinateur – à l’exposition on suit les étapes de cet œuvre dessiné. Trop aisément dessiné. Chillida abandonna le travail de la main droite pour les trouvailles de la main gauche.

On peut songer à l’Éloge de la main incluse par Henri Focillon dans Vie des formes. Dans ce texte tout orienté sur l’éloge de la main gauche, celle qui ouvre au songe, je trouve une figure de l’artiste. Ici celle de Chillida : « Tandis que par l’une de ces faces l’artiste représente peut-être le type le plus évolué, par l’autre il continue l’homme préhistorique. Le monde lui est frais et neuf, il examine, il a gardé le sentiment magique de l’inconnu, mais surtout la poétique et la technique de la main. »

Georges Raillard

Vous aimerez aussi