Sur le même sujet

A lire aussi

Les papiers roulés, les bannières de procession, les ex-voto marins

À Mende (Lozère), en juin 2010, des conservateurs « d’antiquités et objets d’art » proposent un colloque sur les humbles objets de dévotion populaire, sur les rites des paroissiens, sur les formes des objets de piété, sur les témoignages discrets de la culture des fidèles, de leurs coutumes et pratiques. Aujourd’hui, en juin 2011, ces analyses sont publiées (Actes Sud).
Isabelle Darnas
Agnès Barruol
Regards sur les objets de dévotion populaire
À Mende (Lozère), en juin 2010, des conservateurs « d’antiquités et objets d’art » proposent un colloque sur les humbles objets de dévotion populaire, sur les rites des paroissiens, sur les formes des objets de piété, sur les témoignages discrets de la culture des fidèles, de leurs coutumes et pratiques. Aujourd’hui, en juin 2011, ces analyses sont publiées (Actes Sud).

Les chercheurs collectionnent les objets (souvent minimes et fragiles) de dévotion ; ils rassemblent les choses que les confréries, les ecclésiastiques, les héritiers ont conservées ; ils les classent, les étiquettent, ils les répertorient et les trient. Ils les restaurent sans sauvagerie, sans excès. Ils étudient les archives anciennes et récentes ; ils découvrent les dessins, les photos, les films des cultes du passé ; ils cherchent les catalogues commerciaux d’objets religieux (à Lyon ; à Paris, près de l’église Saint-Sulpice). Parfois, ils aident à « valoriser » ces objets et leurs musées. 

Fabriqués par des artisans spécialisés, par des moniales, par des croyants (riches ou pauvres), ces objets sont constitués de matériaux de peu de valeur : les papiers roulés, la cire des bougies et des médailles, le verre des bouteilles d’eau bénite, les éléments des chapelets, les étoffes des bannières de procession et celles des habits qui recouvrent les statues des saints. Ces objets fragiles sont difficiles à soigner, à conserver. Longtemps vénérés, ces objets sont parfois oubliés, méprisés, par les descendants de certaines générations. À cause des guerres de Religion et de la Révolution française, dans les incendies et les inondations, par les changements des goûts architecturaux, dans les édifices abîmés, beaucoup de ces objets de dévotion disparaissent, puis se retrouvent… Par exemple, dans le département de la Lozère, dans le Gévaudan, un mouvement dévotionnel après la Révolution s’appuie sans conteste sur les saints locaux (Privat évêque, une princesse mérovingienne Énimie, Frézal décapité, Hilaire, Véran…) ; il explique la fabrication des statues et des bannières au long du XIXe siècle ; et les érudits du Gévaudan se penchent sur les vies de ces saints, sur ces miracles et multiplient les publications. 

Depuis le Moyen Âge, les objets de piété (ou, pour certains, de superstition, de naïveté) circulent à travers les siècles. Ils sont souvent des objets privés. Se trouve (dit-on) un cierge baptismal sur le téléviseur ; il est allumé lorsque l’orage fait rage... Ou bien, dans l’Orne, dans une chapelle, une statue votive de saint Céneri est propice au mariage des jeunes filles ; la jeune fille pique un épingle à la base de la statue en calcaire tendre ; si l’épingle ne tombe pas, on trouve un mari dans l’année. Et, en 2010, au cours du colloque de Mende, une conservatrice d’antiquités et d’objets d’art se rappelle avoir piqué une épingle à la base de la statue du saint Céneri elle était mariée six mois plus tard. Depuis, cette chapelle a fait l’objet d’une restauration et d’une mise en valeur complète… 

Les objets de piété ont, depuis l’Antiquité, une fonction apotropaïque et prophylactique. Une eau miraculeuse et bénite écarterait les esprits de méchanceté et guérirait. Les lieux, les reliques des saints, les statues, les ex-voto, les vitraux posséderaient un pouvoir magique et indécis. En France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Autriche, ailleurs, des musées spécialisés réunissent et classent des milliers d’objets de dévotion, modeste et somptueux, maladroit et raffinés. Par exemple, le musée de Fourvière (Lyon), le musée de la Visitation (Moulins), le très riche musée d’Art sacré de Mours-Saint-Eusèbe (Drôme), les trésors de certaines cathédrales rassemblent plus de 25 000 objets. Ils seraient d’étranges instruments de médiation, qui relieraient (dit-on) la terre et le ciel, le monde visible et invisible. Ils seraient des expressions de la religiosité populaire. Tour à tour, l’Église catholique respecte les objets ; elle les bénit ; elle les place à l’intérieur de la prière ; mais aussi elle se méfie des « éléments incompatibles à la doctrine catholique » et des « risques de déviance ».

Ces objets, multiples et divers, sont des témoins de la spiritualité des fidèles avec des périodes d’exaltation et d’autres moments de repli et de remise en question. En particulier, les pèlerinages (hérités de l’Antiquité païenne) sont liés à la démarche de foi ou de contrition des pèlerins. Ils visitent les tombeaux des saints, les sanctuaires marials, les sources et les arbres païens que les évangélisateurs ont sanctifiés. Alors, les ampoules et bouteilles contiennent l’eau des sources miraculeuses ou l’huile des lampes allumées près d’un corps saint ou près des reliques. Des « insignes » de pèlerinage (en plomb ou en laiton) étaient cousus au chapeau ou sur le manteau des pèlerins. Venus de la Terre sainte, ils rapportent des maquettes du Saint-Sépulcre, des rubans bénits, des cailloux, de la terre, le « fac-similé d’un clou du Christ » encadré, des reliquaires, des médailles… Se retrouvent, chez les fidèles, les robes de baptême, les brassards des communiants, les couronnes des mariées, les scapulaires, les costumes qui appartiennent à des confréries…

En des lieux divers, les chercheurs étudient l’exposition de ces objets et leurs restaurations. Par exemple, à la chapelle Sainte-Anne (Saint-Tropez, Var), une centaine d’ex-voto marins se composent des « portraits de navires par mer calme » et des « périls de mer ». Tels ex-voto relatent des épisodes de la guerre de Trente Ans ; d’autres évoquent certains événements à Hong-Kong et Shangai (XIXe siècle) ; d’autres ex-voto donnent à voir des scènes de la Seconde Guerre mondiale. 

Ou bien, dans le département du Cantal, les conservateurs étudient les bannières de procession (peintes ou brodées) du XVIe au XXe siècle. La plupart des bannières sont confectionnées en damas ; le velours plus mou et le satin le plus fin sont peu utilisés. Dans le Cantal, le fond blanc est majoritaire ; il est suivi par le rouge et (pour le XIXe siècle) par le rose fuchsia et le mauve ; en minorité par le vert et le bleu. La représentation de la Vierge Marie est la plus fréquente. Sur une deuxième face, apparaît le saint patron de cette église. Des broderies ont été réalisées par des paroissiennes, par des carmélites et des visitandines, par des entreprises de Lyon et de Paris. Alors, la distribution d’ornements fabriqués en série est attestée dans le Cantal. 

Ou encore, les chercheurs étudient la technique des papiers roulés. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert précise : « le papier doré par petit feuillet et fait d’or fin sert à plusieurs ouvrages, particulièrement dans les couvents de religieuses. Elles exécutent ces petits rouleaux dorés qui sont dans les reliquaires et d’autres ouvrages de leurs mains ». Peu d’outils sont nécessaires à ces fabrications : un poinçon, une aiguille, des paires de ciseaux, de petites pinces. La plupart des couvents possédaient une machine à plisser. Les différentes bandes de papier ou de carton sont choisies en fonction du travail à réaliser… Tels éléments en papier roulé sont des cœurs, des navettes, des fleurs, des raisins… Les thèmes suggèrent des bouquets, une croix, un tombeau, des colonnes torses, une corne d’abondance, etc. Du XVIIe à la fin du XIXe siècle, cet art a été pratiqué chez les carmélitaines, les visitandines, les clarisses, mais aussi dans quelques couvents masculins (chartreux, célestins, bénédictins)…

Ou aussi, à Arles (Bouches-du-Rhône), dans le Museon Arlaten, sont exposées soixante-dix boîtes vitrées religieuses. Ce sont les crèches avec la Sainte Famille, avec un nombre variable de personnages et d’animaux. Il y a aussi les « Paradis » qui sont des scènes complexes avec Marie Madeleine en pénitence, ou avec le Christ en croix… Ces boîtes vitrées sont restaurées… 

Et encore, dans les ateliers des artistes (qui sont des amis), je vois souvent des ex-voto, des reliquaires, des bannières, des boîtes religieuses vitrées. La plupart d’entre eux affirment qu’ils ne sont pas superstitieux. À qui, à quoi croient-ils ?

Gilbert Lascault

Vous aimerez aussi