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Gao peintre

 En 2000 les Nobel créent une nouvelle fois la surprise. Le prix de littérature est décerné à un Chinois, né en 1940, naturalisé français. Il est connu en France par un roman, La Montagne de l’Âme. L’Aube, qui l’a publié, est établi en Provence. Cet enracinement éditorial va bénéficier au peintre, voire le faire découvrir. 

EXPOSITION
GAO KINGJIAN
Galerie Claude Bernard
7-9, rue des Beaux-Arts, Paris 6e
13 janvier – 19 février 2011
Catalogue illustré de 112 pages,
avec un texte de Thierry Dufrêne et un portrait
de Gao Kingjian par Martine Franck

 En 2000 les Nobel créent une nouvelle fois la surprise. Le prix de littérature est décerné à un Chinois, né en 1940, naturalisé français. Il est connu en France par un roman, La Montagne de l’Âme. L’Aube, qui l’a publié, est établi en Provence. Cet enracinement éditorial va bénéficier au peintre, voire le faire découvrir. 

Après l’Allemagne et la Suède, il expose à L’Isle-sur-la-Sorgue, au Palais des Papes, au musée des Tapisseries d’Aix, à la Vieille Charité à Marseille qui organise en 2003 une grande manifestation ainsi annoncée « L’année Gao à Marseille ». Depuis 2004 il a été exposé trois fois à Paris, à la Galerie Claude Bernard.

Ses œuvres à l’encre de Chine s’imposent au regard : de loin, par la lumière qui éclate parmi les dégradations du noir au gris, de près, par les rencontres du lisse et du grenu. Des paysages où le regard peut s’attarder à ces passages où par l’encre de Chine se joignent Intérieur et extérieur (2010). Des paysages affectifs, sans effets brutaux. La lumière les soutient. Par son afflux dans des trouées dans le noir qui peuvent moduler des personnages aux contours indécis, imposant leur présence.

Les Marcheurs sont à l’écart des mots, libérés des identifications. Ils sont la ponctuation d’étendues blanches. Dans L’Attente une silhouette se détache dans une échancrure éblouissante. Deux portes s’ouvrent ici dans une gamme de gris. Une Vision : jouent ensemble et en différend toutes les ressources du papier et de l’encre.

Sonate, Un Souvenir, La Mémoire perdue… ces titres sont comme des rappels de veines dans le territoire proustien. Gao, traducteur, lecteur, analyste des écrivains « modernes » de la littérature française, est l’auteur d’un Premier Essai sur le roman moderne. Il écrit et il peint. Il sépare dans le temps les deux activités. Non, semble-t-il, sans que quelque communication ait lieu entre elles.

À l’ouverture d’un chapitre de La Montagne de l’Âme, un exemple, parmi d’autres possibles, où l’on peut reconnaître l’amorce d’une poétique commune à l’écriture et à la peinture, et leur écart. « En rêve, je vois la falaise s’ouvrir derrière moi et en grinçant, entre les pierres, se découpe le ciel gris perle. » Et ensuite : « Sous le ciel, une ruelle, déserte et calme, sur le côté, la porte d’un Temple, elle n’est jamais ouverte, à l’intérieur est tendue une corde de nylon où sèchent des vêtements d’enfants (…). »

Dans la peinture de Gao pas de place pour une corde de nylon. Pas d’abstractions non plus, du moins dans les œuvres les plus saisissantes. L’encre dit tout au défaut des mots, récuse leurs excès, leur mainmise. Dans La Quête, toutes les nuances du gris, toutes les ressources du flou refusent une histoire, ou n’en retiennent que le souvenir, la trace. Une scène s’est ouverte sur laquelle règne une lumière blanche. Ce qu’à sa conclusion disait La Montagne de l’Âme : « La neige tombe en silence (…). Pas de joie. La joie n’existe que par rapport à la tristesse. Seule tombe la neige. »

C’est cela que dit la peinture de Gao. Elle dit une « vision » faisant apparaître à la fois la matière du monde et celle du rêve unies par une semblable légèreté, une même insistance.

La quarantaine d’œuvres, de formats divers, rassemblées à la Galerie constituent, aux cimaises, la paroi où se profilent des ombres, en marche vers La Révélation. On y est conduit par des étapes concrètes : Sur la mer, Le Crépuscule, Lieu de refuge, Le Chant du vent.

Gao est peintre. Il est écrivain. Quand il n’est pas écrivain, le peintre se souvient de l’écrivain. Les titres de ses œuvres peintes ne se laissent pas omettre. Ils jouent, ou ont joué, leur rôle dans la rêverie de Gao Kingjian. Mais là où il a écrit Destin, on peut aussi lire Dessin.

Georges Raillard

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