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Habiter : entre normalisations et transgressions

Article publié dans le n°1250 (29 janv. 2023) de Quinzaines

Yankel Fijalkow, sociologue et urbaniste, auteur de plusieurs ouvrages sur la ville et l’habitat, et Bruno Maresca, sociologue, ont signé ensemble un livre très complet sur l’habitat, qui explore la notion d’archipel résidentiel.
Yankel Fijalkow & Bruno Maresca
L'archipel résidentiel, logements et dynamiques urbaines
Yankel Fijalkow, sociologue et urbaniste, auteur de plusieurs ouvrages sur la ville et l’habitat, et Bruno Maresca, sociologue, ont signé ensemble un livre très complet sur l’habitat, qui explore la notion d’archipel résidentiel.

Sur l’habitat, l’habitation et le logement, les livres récents ne manquent pas, mais ils sont le plus souvent militants (écoconception), critiques des pratiques publiques et privées (la « crise » du logement) ou historiques. Cet ouvrage – très complet – propose à la fois une perspective historique, une description très documentée des modes d’habitat contemporains et une fine réflexion sur la différenciation des espaces habités et des modes d’habitation. Il expose les enjeux (politiques, économiques et culturels) de « l’archipel résidentiel ». 

Le fil conducteur de l’ouvrage – qui comporte trois parties : normalisations, distinctions, alternatives – est l’évolution des modes d’habiter, considérés comme plus que s’abriter ou se loger. Rappelons ici qu’on parle des « habitants » d’un pays, d’un village, etc. Et que « l’habitat » est une notion commune à l’anthropologie sociale, à l’urbanisme et à l’écologie.

Pour commencer, l’immeuble haussmannien est décrit en contraste avec la cité ouvrière, l’un étant porté à la « représentation » et l’autre au « confinement », le logement social se glissant entre les deux, avec une prétention, jamais accomplie, à la mixité sociale (une sorte de société sans classes, dirais-je). Les auteurs montrent à quel point la normalisation de la construction est considérée comme le cadre des vertus morales, telles que le sens de la famille, de la patrie, de l’hygiène, etc. 

Les distinctions (le terme est-il une référence à Pierre Bourdieu et à sa notion d’habitus ?) se forment (ou apparaissent ?) par le biais des définitions du mal-logement, du sous-logement, et du non-logement. Occasion pour les auteurs de passer en revue les changements de vocabulaire : taudis, zone, bidonville, habitat indigne (« indigne de quoi ? » se demandent les auteurs), jungles. Et de se questionner : ne pourrait-on admettre l’existence d’un non-logement qui ne serait pourtant pas un non-habitat ? Ou même de « diversifier les normes et donc de valider la réalité de l’archipélisation » ? D’où une interrogation sur l’opposition/la similitude des démarches entre l’habitat pavillonnaire (ouvert et mal équipé), les résidences de luxe (très équipées et fermées) et les lofts (des bobos). Distincts mais tous « normaux ». 

Avec la partie « Alternatives » nous entrons dans le monde du co- : colocataire, copropriétaire, coopérative, etc. (mais on ne parle pas des « communautés » post-1968, dont « l’alternative » se voulait radicale). Elle nous présente l’habitat participatif (non spéculatif), ainsi que les résurgences ou créations d’habitations telles que les yourtes, les cabanes, les tiny houses (maisons en miniature). En revanche, les auteurs dénoncent les écoquartiers comme mode (sournois, dirais-je) de normalisation, et sont dubitatifs au sujet des squats. Je ne sais pas trop s’ils estiment que l’habitat nomade (ou potentiellement nomade : yourte, tiny house) peut se développer, mais ils le situent parmi les « formes transgressives d’habitat ». 

Peut-être auraient-ils pu établir une relation entre l’habiter et l’habitat à une autre échelle (quartier, village), au sens écologique (écosystèmes) et urbanistique (territoires). Et du coup donner une autre dimension à la question de la cohabitation. Par exemple avec les Roms, soit une dizaine de millions de personnes, qui sont toujours perçus comme des indésirables. Mais c’eut été peut-être s’écarter du parti-pris de l’ouvrage, celui d’aborder les marchés du logement comme une mosaïque de formes sociales. 

Ce qui ne m’empêche pas de souscrire pleinement à leur remarque finale : « Regarder le champ de l’habitat et la question du logement comme un archipel de formes conduit à ouvrir le jeu pour proposer des alternatives à la massification uniformatrice, massification qu’il est utile de dénoncer en tant que processus non intégrateur, qui entretient des barrières d’accès et ne fait pas advenir un véritable “droit au logement pour tous” ».

Michel Juffé

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