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Le 27, haut lieu de la modernité

27 rue de Fleurus, à Montparnasse. L’atelier-salon de Léo Stein et de sa sœur cadette Gertrude (1876-1946). Américains, à l’aise, mais pas richissimes comme des Barnes ou des Morozov. Les Stein eux, ainsi que leur frère aîné Michael et sa femme Sarah, ont su voir, aimer, acquérir, rassembler ce qui suscitait alors sarcasme ou indifférence. Le samedi, ces Américains à Paris accueillaient chez eux écrivains, peintres, esthètes, curieux de cette modernité à l’état naissant et encore peu visible. Le 27 rue de Fleurus est au cœur de l’admirable exposition du Grand Palais. Une exposition accompagnée d’un ouvrage de 456 pages. On ira de l’exposition à cet ouvrage (même si beaucoup des documents sont exposés). On fera le va-et-vient, pour profiter à plein d’une exposition sans lendemain possible.

EXPOSITION
MATISSE, CÉZANNE, PICASSO…
L’AVENTURE DES STEIN
Grand Palais, Galeries nationales
5 octobre 2011 – 16 janvier 2012
Catalogue sous la direction de Cécile Debray
Éd. R.M.N./Grand Palais, 456 p., 50 €

27 rue de Fleurus, à Montparnasse. L’atelier-salon de Léo Stein et de sa sœur cadette Gertrude (1876-1946). Américains, à l’aise, mais pas richissimes comme des Barnes ou des Morozov. Les Stein eux, ainsi que leur frère aîné Michael et sa femme Sarah, ont su voir, aimer, acquérir, rassembler ce qui suscitait alors sarcasme ou indifférence. Le samedi, ces Américains à Paris accueillaient chez eux écrivains, peintres, esthètes, curieux de cette modernité à l’état naissant et encore peu visible. Le 27 rue de Fleurus est au cœur de l’admirable exposition du Grand Palais. Une exposition accompagnée d’un ouvrage de 456 pages. On ira de l’exposition à cet ouvrage (même si beaucoup des documents sont exposés). On fera le va-et-vient, pour profiter à plein d’une exposition sans lendemain possible.

Un exemple de l’alerte donnée à notre regard : le portrait de Gertrude Stein par Picasso. Il est venu de New York. On a tout dit de cette peinture célébrissime : la peinture des mains d’une facture différente de celle du visage, ce que devrait le visage aux masques primitifs, à l’art ibérique, au Cézanne de la femme de l’artiste dans un fauteuil qui fascinait Picasso rue de Fleurus (acquis en 1904) et auprès duquel vint prendre place en 1906 ce grand portrait de Gertrude Stein. Mais à présent, plus encore me frappe, ce punctum, me suggère Barthes : au pied de la grande toile photographiée on voit un tout petit Autoportrait de Picasso. Ce tableau suivit partout Gertrude Stein.

L’attachement passionné de Gertrude Stein à l’œuvre de Picasso est connu. Elle en fait état dans son Autobiographie d’Alice B. Toklas (sa compagne sa vie durant). Henri-Pierre Roché a raconté comment il introduisit Picasso chez les Stein. L’écrivain, le critique, le marchand est aussi Jim, l’auteur de Jules et Jim. Entre eux deux, avec eux deux, Hélène, Jules est son mari : ce sont les parents de Stéphane Hessel.

Roché dans ses Écrits sur l’art (présenté par Serge Fauchereau, André Dimanche éditeur, 1998) montre qu’il a été l’introducteur de Picasso chez les Stein : « L’amitié entre Picasso et Gertrude Stein, que son frère avait amenée, grandit. Picasso fit un beau portrait très ressemblant et assez classique de Gertrude. Lui seul n’en était pas content. Il reprit tout le visage déjà achevé et en fit un peu une face d’idole. Il me fallut du temps pour la comprendre et pour soudain l’aimer. »

À l’exposition, on suivra les effets des coups de foudre des Stein. On les partagera souvent, étonné seulement des tout derniers choix de Gertrude. Elle reste fidèle à Picasso, dont il serait vain ici de faire la liste des chefs-d’œuvre ayant appartenu aux Stein, comme les Matisse, venus de toute part et réunis à Paris.

Des centaines de tableaux ont été entre les mains de Gertrude, Léo, Michael et Sarah, cette dernière recueillant des confidences de Matisse sur l’orientation de son travail. Cependant, les collections ne sont pas restées stables. Dès les débuts de leurs acquisitions, Sarah et Michael échangent trois tableaux (Maurice Denis, Fantin-Latour, Monticelli) pour six Matisse. En 1906, Léo et Gertrude échangent un Gauguin, Trois Tahitiennes sur fond jaune, et La Sieste de Bonnard contre un Renoir (en raison de ses similitudes avec Matisse).

Henri-Pierre Roché raconte : « Léo Stein me mena chez Henri Matisse, dans l’atelier face à Notre-Dame, où nous fûmes les seuls parmi de nombreux amis qui ne le prenaient pas encore au sérieux, à écouter jusqu’au bout développer sa théorie qui devait peu après faire une telle école dans le monde, et à regarder après ses dessins nouveaux. »

Gertrude, son héraut était Picasso dont elle, écrivain, aurait voulu être à sa hauteur. Léo et Michael étaient plutôt du côté de Matisse. L’Autoportrait du peintre fut acquis par Michael et Sarah en 1906. De Matisse, à l’exposition un ensemble d’œuvres admirable, singulier et divers, qu’ouvre la Femme au chapeau de 1905. Exposée au Salon d’Automne, elle fascine Léo et Gertrude qui ne connaissent pas encore personnellement Matisse. Ils acquièrent immédiatement la toile.

Les photographies, et l’indication précise des œuvres photographiées, permettent de suivre aux murs de la rue de Fleurus l’évolution des collections. On s’étonne seulement de la disparate que présentent ces tableaux et le mobilier rustique espagnol. Bien loin de la Barcelona Chair à venir de Mies van der Rohe. Michael commandera à Le Corbusier une résidence dont on suit la construction dans les documents de l’exposition.

Le parcours tracé au Grand Palais commence par les incitateurs, les « quatre grands », les phares de la modernité future dont les œuvres passèrent au 27.

Parmi bien des œuvres qui sont des chefs-d’œuvre, par exemple celles-ci :

De Manet, Le Bal à l’opéra (1873). Gertrude et Léo achètent en 1905 un peintre dont Léo dit : « Il n’a peut-être pas d’équivalent à l’époque moderne. » La touche est rapide, s’exhibe. Deux triangles, blanc, une femme, noir, l’homme.

De Renoir, acquis par Léo en 1904, Brunette (1890).

De Cézanne, Léo et Gertrude ont possédé onze aquarelles achetées en 1903, dont Un sentier en forêt bâti sur six verticales.

De Degas, le dessin du corps tors de la Femme renversée. Et ensuite, plusieurs centaines d’œuvres qui, dues à des pinceaux divers et peintes à des dates différentes, disent : nous apportons la modernité.

Comme semble le dire, dans la salle du cubisme, le Nu à la serviette 1907, l’année des Demoiselles d’Avignon. Ce que la femme peinte, la Femme-peinture tient contre elle sur son bras gauche – blanc, et triangles – c’est, dirait-on, l’avenir de la peinture moderne. Cette œuvre avait été acquise par Gertrude et Léo Stein en 1916.

Georges Raillard

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