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Article publié dans le n°1149 (16 avril 2016) de Quinzaines

Né en 1938 à Berne, Michel Contat, journaliste littéraire (Le Monde) et musical (Télérama), a beaucoup travaillé sur Sartre, qu’il a bien connu. Il a notamment édité ses Œuvres romanesques et son Théâtre complet dans la Pléiade et il est l’auteur, avec Michel Rybalka, de la biobibliographie Les Écrits de Sartre (Gallimard, 1970). Ma vie, côté père constitue la première réelle incursion de Contat dans la littérature personnelle. Il y évoque la figure de son père, personnage très romanesque, avec qui il a eu dans son adolescence des rapports assez tourmentés.
Michel Contat
Ma vie, côté père
Né en 1938 à Berne, Michel Contat, journaliste littéraire (Le Monde) et musical (Télérama), a beaucoup travaillé sur Sartre, qu’il a bien connu. Il a notamment édité ses Œuvres romanesques et son Théâtre complet dans la Pléiade et il est l’auteur, avec Michel Rybalka, de la biobibliographie Les Écrits de Sartre (Gallimard, 1970). Ma vie, côté père constitue la première réelle incursion de Contat dans la littérature personnelle. Il y évoque la figure de son père, personnage très romanesque, avec qui il a eu dans son adolescence des rapports assez tourmentés.

Ma vie, côté père est une sorte de « lettre au père » originale – bien différente de celle de Kafka et de son ton accusateur – dans laquelle Michel Contat évoque son père, Jean Contat, personnage extravagant, aussi nébuleux qu’imprévisible. À cela s’ajoutent les figures paternelles de substitution qu’il s’est choisies. Partant de l’idée énoncée par Proust selon laquelle un roman est un instrument d’optique que l’on peut poser sur sa propre vie, Michel Contat narre l’histoire d’un garçon qui, plutôt mécontent de son père, essaie de se faire adopter par Jean-Paul Sartre, lequel ne veut pas de lui ; alors, il essaie finalement de se faire aimer de son père. Pourquoi, sur le soir, Michel Contat décide-t-il ainsi de se replonger dans les relations assez difficiles qu’il a eues avec son père ? Comme, par exemple, Sorj Chalandon, qui a récemment fait paraître Profession du père (Grasset), il sacrifie peut-être à l’air du temps. Ou à une quête personnelle destinée à absoudre par l’écriture un père défaillant. Michel Contat n’a pas de surmoi : c’est le plus beau cadeau que lui a fait un père joueur et irresponsable, qui a laissé à son fils « le principe de plaisir », abandonnant à la mère « le principe de devoir ». 

Qui est donc cette figure obsédante du père absent qui hante chaque page d’un livre où percent les confessions intimes ? Né en Suisse en 1906, Jean Contat est mort assez tristement, à soixante-seize ans, seul, endetté, mais réconcilié. Parvenu à cet âge, son fils lui consacre un récit enlevé, qui est surtout l’autobiographie d’une enfance et d’une jeunesse sans père. Démis de ses fonctions dans la compagnie d’assurances où il travaillait quand Hitler est arrivé au pouvoir, Jean Contat fait la rencontre après la guerre, à quarante ans, d’une Allemande de vingt-trois ans – veuve d’un général de la Wehrmacht – pour laquelle il quitte femme et enfants. Mis au ban de la bonne société bernoise à laquelle il appartient, il multiplie les frasques. Dans l’ombre et la lumière d’un père ambivalent, le narrateur se construit. Michel Contat a été un gamin assez malheureux, mauvais écolier, pensionnaire d’un orphelinat bernois pour enfants de bonne famille en difficulté. C’est que le père était parti et peinait à payer la pension alimentaire de ses deux garçons, Michel et son frère aîné, enfant à problèmes. Dès la première ligne, le fils excuse « monsieur mon père, un grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit », formule d’Alexandre Dumas citée en épigraphe, qui donne le ton du livre. « Ce ne devait pas être facile d’être le fils d’Antoine Contat », juriste valaisan estimé de tous. Celui de Jean Contat non plus, pour des raisons inverses : ce géniteur fait des apparitions sporadiques, au volant de belles voitures, avec de jolies femmes, puis avec une très laide et très riche, qui lui permet de faire le généreux auprès de ses fils. Mécène aveugle de cet « artiste sans art », elle finira par se lasser de financer ses infidélités, et ce sera la décadence de Jean Contat.

Avec une simplicité harmonieuse, un lyrisme touchant, une détermination qui n’exclut ni l’émotion ni l’imagination, l’auteur décrit les variations de distance qui ont existé entre l’adolescent qu’il a été et son père, qui s’efforce d’être aussi responsable que possible. Mais cet homme volage y réussit mal dans la mesure où il est lui-même resté, sa vie durant, un adolescent. « De mon côté, les relations avec mon père, si espacées, si frustrantes pour moi – et peut-être pour lui aussi, car je l’intimidais à présent, il parlait de moi en disant "Micky cet inconnu" –, ces relations avaient cessé de me tourmenter en permanence, ou plutôt, ce souci, je l’avais enfoui en moi, très profondément. » Or, bien qu’il ait eu toutes les raisons de s’en plaindre, Michel Contat raconte de quelle manière les rapports avec ce personnage un peu flibustier, escroc, irresponsable, se sont résolus dans une espèce de paix. La musique va aussi jouer un grand rôle, elle lui ouvre les portes d’un univers culturel et esthétique différent de celui proposé par son père : « Ma vie changea aussi avec la découverte que Luc et moi fîmes ensemble : le jazz, celui de Louis Armstrong d’abord, pour lequel nous nous prîmes d’une passion qui perdure. Je me mis à la clarinette, en autodidacte ou presque, lui au trombone, pareillement. » 

À cela s’ajoute l’évocation de la passion de l’auteur pour le théâtre, la littérature : après son baccalauréat, le narrateur enchaîne un festival de jazz et le Festival d’Avignon (où il vit Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne avec Gérard Philipe). « J’ai raconté dans Paris 1959. Notes d’un Vaudois, titre imité de C. F. Ramuz, mon année parisienne et comment elle finit, à cause de la guerre d’Algérie. Elle fut marquée par trois choses : ma lecture de L’Être et le Néant, au côté de Michel Thévoz qui suivait à Paris sa deuxième année d’École du Louvre ; ma rencontre avec Raymonde, une jeune femme mariée qui fut mon premier amour […] ; et la "Lettre au père" que j’écrivis, Kafka en tête […] Une lettre "vraie" s’imposait », confie-t-il sur le ton de l’aveu impatient et généreux.

Michel Contat s’est donc construit sans père. Études de lettres, découverte du jazz – clarinette et saxophone – avec Michel Thévoz et Serge Wintsch. Thévoz fait son éducation politique. Avec son cousin, Luc Chessex, le photographe, il porte des valises (au moins une) pour le FLN, mais son militantisme s’apparente à un jeu. Chessex lui fait découvrir Cuba. Après son mémoire de licence sur Les Séquestrés d’Altona, bien accueilli par Jacques Mercanton, Michel Contat noue des relations avec Sartre. Professeur au gymnase de Lausanne, il se fait renvoyer pour raisons politiques, c’est ce qu’on a appelé « l’affaire Contat ». Finalement, il choisit de risquer Paris, avec sa jeune femme, la belle Teddy Contat, actrice puis psychologue à qui il exposa un jour « les grandes lignes de la conception sartro-beauvoirienne de l’amour nécessaire et des amours contingentes », et son fils, Jérémie – à qui ce livre est tout naturellement dédié. Puis Michel Contat fera au CNRS la carrière de « sartrologue » que l’on sait. « "Si vous voulez savoir qui est Contat, faites-le parler de son père." Je m’en suis souvenu au moment de commencer ce livre. Les fils, c’est peut-être leur mission, de parler de leur père. Aujourd’hui, ils s’en privent moins » : ces mots pourraient résumer l’entreprise littéraire de Michel Contat au sujet d’un père que, malgré tout, il a aimé, et qui était au fond « tout sauf un emmerdeur. Enviable épitaphe ».

Franck Colotte

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