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Miró : Dessins

 Voici le deuxième volume sur les six prévus pour les dessins du catalogue raisonné de l’œuvre de Miró qui comprendra dix-huit volumes, d’une perfection technique égale. C’est Jacques Dupin, secondé par Ariane Lelong-Mainaud, qui a la charge de cette entreprise parfaitement réussie, éblouissante.
 Voici le deuxième volume sur les six prévus pour les dessins du catalogue raisonné de l’œuvre de Miró qui comprendra dix-huit volumes, d’une perfection technique égale. C’est Jacques Dupin, secondé par Ariane Lelong-Mainaud, qui a la charge de cette entreprise parfaitement réussie, éblouissante.

« L’image prise au mot », c’était, en 1996, le titre d’une grande exposition d’œuvres sur papier de Miró, au Musée de Gravelines. Ce titre vaudrait pour toute l’œuvre de Jacques Dupin, poète, des plus grands, qui a constamment mis en regard son écriture et les figures des peintres et surtout des chemins partagés avec Miró.

Dans les deux derniers recueils publiés sous les titres Ballast et le Corps clairvoyant 1963-1982 reprenant des livres antérieurs, les lecteurs ont pu, dans un format pratique, suivre la trace de la voix abrupte, cassante du poète : « Écrire comme si ce n’était pas moi. Les mots antérieurs : écroulés, dénudés, aspirés par le gouffre. Écrire sans les mots, comme si je naissais » (Une apparence de soupirail).

La rencontre du poète et des images des peintres est ce que l’on retient le plus aisément de cette œuvre ascétique et foisonnante, mettant en différend ou en coïncidence

« La nervure du mot
la
trame de la couleur
 ».

Ce deuxième volume de dessins (dont Jacques Dupin nous a remis le texte original en français quant tout le catalogue est rédigé en anglais) est indispensable à la connaissance de Miró. La période représentée est celle de la guerre d’Espagne. 1937-1938 : Dupin y voit apparaître chez le peintre catalan « le réalisme tragique ». Dans sa monographie monumentale, Dupin construit l’œuvre de Miró, guide notre regard, trace des chemins sur lesquels on n’est guère revenu pour en substituer d’autres. Il suit le jeune peintre de sa Catalogne natale, de Barcelone où fermente l’avant-garde, à la première installation à Paris, soulignant ses affinités avec les poètes, Miró affirmant ne faire aucune différence entre peinture et poésie, se nourrissant de Rimbaud à qui Dupin, pour en faire le titre d’un recueil, empruntera la phrase « une apparence de soupirail ».

Analytique dans la Monographie, l’écriture de Dupin peut aussi se modeler sur son regard porté sur un peintre, ou un sculpteur. Dans son Giacometti (1962) il écrit : « … toute l’œuvre de Giacometti tire son affirmation souveraine de l’espace interrogatif qu’elle rend visible, de son refus, de son recul, de cette durée menaçante et nourricière qui la fait et défait ». D’une belle formule Dupin définit la sculpture de Giacometti comme un « inachèvement pétrifié ».

Le gros volume de dessins qui vient de paraître nous apprend beaucoup sur la crise que connaît Miró ces années-là, « l’horrible tragédie que nous traversons peut secouer quelques génies isolés et leur donner une vigueur accrue ».

Jacques Dupin dans son analyse de La Nature morte au vieux soulier (1937), d’une écriture sans suite chez Miró, préfère à la comparaison avec Van Gogh, le rapprochement, fût-ce a contrario, avec Picasso : La Nature morte au vieux soulier est le Guernica de Miró.

Les années précédentes, Miró a fréquenté assidûment l’Atelier de la Grande Chaumière, il y acquiert sur les modèles féminins, la dextérité du trait. S’y ajoute l’énergie avec laquelle il répond à la tragédie. Cette énergie donne naissance à des monstres qui, selon Dupin, sont en latence dans les peintures « sauvages » antérieures, « des exorcismes contre les horreurs de la guerre et les monstres qui les incarnent ».

Mais ces monstres appartiennent à un bestiaire qui semble aussi gouverné par l’imaginaire. Dans le bestiaire coexistent, se frôlent, se superposent l’oiseau et la femme. Des centaines de sexes, ovales entourés de pilosités, chaque côté trois flammèches, des sexes qui peuvent aussi être des yeux, des corps constellés d’yeux comme dans les fresques du roman catalan qui fascinaient Miró.

Cette débauche de signes-sexes est-elle la conséquence du trouble né de la guerre ?

Dans un de mes entretiens avec Miró je me risquais à lui demander quelle était la place de la femme dans son œuvre. Il récusait le mot « sexualité », insistait sur la « procréation ». Il employait le mot « coït ». Mais à ma question mal venue il répondit par un silence troué d’un seul mot : « tragique ».

La dernière partie de Drawings II est tout entière consacrée à Ubu. Des centaines de dessins, ou de mots, sur Ubu, Ubu Roi. Ubu aux Baléares, et même les mots de Jarry : « Sur 2 feuilles carrés en grosses majuscules : « MER », « DRE ». Et mots et dessins : Alfred Jarry sur son lit de mort donnant à lire les derniers mots qu’on lui prête : « Un cure-dents PLEASE. »

Ce dessin, ainsi que beaucoup d’autres, sont à la Fondation Miró de Barcelone à laquelle Miró a légué ses carnets où il faisait galoper son imagination, d’où il lançait ses fusées joyeuses et gaillardes, ou assassines, contre ubu-FRANCO.

Georges Raillard

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