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« Construire la mémoire de Cabu, c’est garder ses dessins vivants! ». Entretien avec Véronique Cabut et Jean-François Pitet

Article publié dans le n°1206 (15 déc. 2018) de Quinzaines

Le talent de Cabu était foisonnant, son crayon infatigable, sa curiosité illimitée. En explorant ses archives, en montant des expositions, en éditant ses œuvres, en retraçant son parcours de « dessinateur de presse » (comme il se désignait lui-même), son épouse, Véronique, et son ami, Jean-François, ont décidé de lui donner le maximum de vitalité et de visibilité pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
Le talent de Cabu était foisonnant, son crayon infatigable, sa curiosité illimitée. En explorant ses archives, en montant des expositions, en éditant ses œuvres, en retraçant son parcours de « dessinateur de presse » (comme il se désignait lui-même), son épouse, Véronique, et son ami, Jean-François, ont décidé de lui donner le maximum de vitalité et de visibilité pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.

Michel Juffé : Je vous remercie d’avoir accepté cet entretien. J’ai envie de commencer par les archives, car s’il n’y avait pas eu ces archives constituées, ouvertes, on n’aurait jamais pu avoir la biographie de Jean-Luc Porquet, laquelle a déclenché notre envie d’en savoir plus. 

Véronique Cabut : En tant qu’épouse de Cabu, il m’appartient, il nous appartient, de faire vivre son œuvre. De construire sa mémoire en respectant ses valeurs et en restant à la hauteur de son talent.

MJ : Et de son esprit visionnaire.

VC : Absolument ! La première chose que j’ai comprise très vite a été de bien m’entourer. Une garde rapprochée très sûre, avec le soutien des équipes du Canard enchaîné et de Charlie Hebdo en la personne de Riss… Et, à ce titre, j’ai pensé à Jean-François Pitet, un ami que Cabu avait rencontré via le jazz, pour m’aider à archiver ses dessins, mais aussi pour m’accompagner sur tous les projets éditoriaux.

MJ : Que de chemin parcouru depuis cette tragédie !

VC : En effet. Dès septembre 2015, une anthologie : Toujours aussi cons ! En 2016, sur une idée de Riss, actuel patron de Charlie Hebdo, ami très proche de Cabu et fidèle, Cabu s’est échappé, un recueil de ses fameuses « couvertures auxquelles vous avez échappé ». Également cette année-là, j’ai donné mon accord à une équipe de journalistes qui avaient filmé, en 2006, la conférence de rédaction consacrée au numéro 712 de Charlie Hebdo, qui avait publié les caricatures danoises avec la couverture de Cabu. Ma condition : que ce reportage soit sous-titré en anglais, tout simplement pour que ce film ait une existence au-delà de la France et montrer à quel point cette équipe d’hommes et de femmes est libre. Ayant rencontré un jeune Américain étudiant à Normale sup’, il s’est attelé aux sous-titres. Mais il ne savait pas traduire « culs-bénits »… 

MJ : C’est intraduisible ! Surtout pour les Américains, qui le sont tous !

VC : Cette anecdote aurait fait hurler de rire Cabu… Toujours fin 2016, le plus grand musée de la presse au monde, le Newseum de Washington, qui avait consacré son mémorial à l’équipe de Charlie et auquel j’avais adressé le DVD du documentaire en question, Charlie 712. Histoire d’une couverture, a organisé une projection suivie d’un débat sur la liberté d’expression avec de grands caricaturistes américains : Ann Telnaes et Matt Wuerker, tous deux Prix Pulitzer. Un grand moment de transmission ! C’est à la suite de ce débat que j’ai reçu une magnifique lettre de soutien de Barack Obama.

Jean-François Pitet : 2017, année de la présidentielle, sortie du livre Le Journal des présidents, organisé en rubriques, comme un vrai journal, avec notamment des dessins très perspicaces d’Emmanuel Macron, lorsqu’il n’était encore que ministre de l’économie.

VC : Cabu comprenait tout de la politique, car il était un journaliste qui dessinait et il tenait d’ailleurs à toujours être décrit comme un dessinateur de presse. Carte de presse no 21991. Très vite, j’ai su qu’une biographie s’imposait. Pendant toute l’année 2015, Jean-Luc Porquet avait rendu hommage à Cabu en sélectionnant ses dessins qui résonnaient avec l’actualité dans Le Canard enchaîné. Nous nous sommes rencontrés et je lui ai ouvert en grand toutes les archives de Cabu… La suite, vous la connaissez, avec la sortie de sa biographie Une vie de dessinateur, l’année des 80 ans de Cabu !

MJ : Il a tenu un journal permanent pendant soixante ans de sa vie ! Car, pour moi, c’est aussi un journal. D’abord au sens strict (c’était au jour le jour). Et la continuité : on mettrait ça en un seul volume, ça ferait un journal. J’ai commencé à lire Hara-Kiri en 1961, j’avais 16 ans…

VC : Cabu était un travailleur infatigable. Il restait à sa table à dessin de 8 heures à minuit, tous les jours, sauf pour les réunions de rédaction. Il adorait le bouclage du lundi à Charlie et, le mardi matin, à l’imprimerie du Canard enchaîné. Il était toujours dans le dessin d’après !

JFP : Il ne rangeait rien et archivait souvent ses dessins dans des sacs plastiques de la SNCF… Un travail de longue haleine pour tout classer ! Un jour, nous retrouvons un rouleau de papier qui est en fait un dessin de jeunesse de plus de trois mètres de long. 

MJ : Ce dessin de jeunesse, qu’avait-il de particulier ? 

JFP : C’est un petit chef-d’œuvre d’un gamin de 13 ans déjà virtuose, puisqu’il y a là plus de 90 personnages, tous différents, défilant pour le « 14-Juillet à Courzy-sur-le-Haricot » ! Le trait, la mise en scène, sont très inspirés de Dubout, son maître, qu’il admirera toute sa vie. 

VC : Et, toujours en 2018, l’exposition « Cabu : vive les comédiens ! » à la Comédie-Française sur une idée d’Éric Ruf, avec plus de 200 dessins consacrés au théâtre, disséminés dans tous les couloirs de cette grande maison. Selon Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française, « regarder ses dessins de théâtre permet de revisiter toute l’histoire théâtrale française ».

JFP : Cette exposition a déjà voyagé à Strasbourg, à la villa Herrenschmidt, ainsi qu’à la maison Jean-Vilar d’Avignon et à l’Institut culturel français de Londres. À suivre…

VC : Enfin, le 1er décembre, ouverture à Châlons-en-Champagne de la Duduchothèque : un lieu pour présenter en permanence ses dessins de jeunesse, organiser des conférences, des animations à destination des scolaires (parce que transmettre est capital), accueillir des chercheurs, etc., et une exposition temporaire intitulée « K-Bu avant Cabu » pour comprendre ses débuts. Châlons, c’est la ville natale de Cabu, où tout a commencé… et où il a publié son premier dessin de presse, à l’âge de 15 ans, dans L’Union. Le talent de Cabu est si foisonnant que rien ne nous arrêtera. 

Bibliographie et filmographie : 

Cabu, Toujours aussi cons !, Le Cherche-Midi, 2015.
Cabu, Cabu s’est échappé, Les Échappés, 2016.
Charlie 712. Histoire d’une couverture, documentaire réalisé par Jérôme Lambert et Philippe Picard, production Bonne Compagnie, 2016.
Cabu, Le Journal des présidents, Michel Lafon, 2017.
Cabu, Vive les comédiens !, Michel Lafon, 2018.
Jean-Luc Porquet, Cabu. Une vie de dessinateur, Gallimard, 2018.  

La Duduchothèque : 68, rue Léon-Bourgeois 51000 Châlons-en-Champagne – ouverte du mardi au samedi de 14 à 19 heures, entrée gratuite. Exposition « K-Bu avant Cabu » jusqu’au 1er avril 2019.

Michel Juffé

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